Pèlerinage dans son pays natal, notre exilé partage cette nouvelle vision de son île : cela fait trois décennies que je fais gras à Montréal pendant qu’on continue à faire maigre à Port-au-Prince. L’auteur nous parle de la faim, de celle qui jour après jour harcèle sans relâche, dans ma vie d’avant, la nourriture était la préoccupation quotidienne. Tout tournait autour du ventre. Dès qu’on avait de quoi manger, tout était réglé. C’est une chose impossible à comprendre pour ceux qui ne l’ont jamais vécu. Laferrière partage, sa mère restée au pays, son père, son passé de jeune étudiant, cette île où le temps n’a pas de prise, cette éternelle misère, cette perpétuelle pauvreté. Mais également, il nous découvre Haïti l’île, joyau des Antilles, par sa flore, sa faune, ses montagnes, sa mer, son exotisme à fleurs de peau.
Il me semble que les Haïtiens ont finalement fait le pas. Question que je me suis souvent posée, quand délesteront-ils leur religiosité pour la remplacer par la délinquance ? La criminalité parait avoir pris de l’ampleur depuis mon dernier séjour et Laferrière insiste : avez-vous déjà pensé à une ville de deux millions d’habitants dont la moitié crève de faim littéralement ? La chair humaine c’est aussi de la viande. Pendant combien de temps un tabou pourra-t-il tenir face à la nécessité ?
Magnifique roman, gagnant du prix Médicis et du Grand prix du livre de Montréal et probablement d’autres à venir. Laferrière dont j’ignorais encore le travail m’a surpris par cette qualité. Ce rythme lent qui nous incite à savourer chaque mot, chaque phrase. Un roman qui doit être lu d’un seul trait, pour ne pas y perdre cette atmosphère, cette sensualité, cette chaleur, ce soleil, cette pauvreté, cette faim, que l’auteur par sa prose poétique nous imprègne si bien.