Jase Rex le disait lui-même en 2008, à la sortie de son précédent album, Five : dans l'abréviation IDM, le D est classiquement très négligé. Pas vraiment de "Dance" et simplement de l'"Intelligent Music". Ce n'est pas un problème en soi, puisque cette frange cérébrale a, dancefloor ou non, révolutionné la manière d'appréhender les musiques électroniques. Voyons plutôt la chose comme un préambule, et posons cette question : comment nombre d'artistes ont pu se voir accolés ce fameux D alors que leurs travaux visaient précisément tout sauf la danse. En fait, il faut remonter loin, au début des années 90, pour comprendre comment a émergé cette notion d'IDM. L'Angleterre était alors un immense terrain à rave parties où les codes druggy étaient omnipotents. Et c'est en pervertissant ces normes que l'IDM s'est émancipé, en détournant les règles en vigueur pour s'ouvrir un plus grand espace de liberté et d'expression. Ce que l'on ne savait peut-être pas encore, c'est que ces premières sorties – de Warp Records en particulier – allaient ouvrir un tel boulevard. Car dix ans plus tard, début des années 2000, l'IDM était un genre devenu fou : c'était la course à l'armement numérique et à la complexité, dans une quête absconse de l'expérimentation totale. Maintenant, vraiment, nous pouvons crier un WTF en se souvenant de cette époque un peu étrange où la moindre répétition sur 8 mesures était à proscrire. Surtout que de notre place, dix ans ont encore passées et les choses se sont renversées.
En 2010, en effet, un retour vers l'accessible ne cesse de se confirmer – l'IDM renoue avec ses cousins électroniques. On peut vous trouver mille exemples à ce mouvement : les labels IDM qui fricotent avec le dubstep, les électroniciens classiques qui s'essaient au 4/4 (Four Tet, Lusine), les clubs qui laissent une place nouvelle aux artistes IDM... Et c'est dans ce contexte précis que nous sommes amenés à parler de States of Space, sixième album de Jase Rex aka Another Electronic Musician. Si nous nous sommes permis une si longue introduction, c'est pour une bonne raison : States of Space est clairement l'exemple type de tout ce que nous venons de dire. Longtemps propriétaire d'une IDM nourrie au glitch et aux abstractions rythmiques, Jase Rex change ainsi nettement de référentiel, pour cette-fois marier ses mélodies duveteuses aux canons dub-techno et ambient-techno. Ce n'est pas une révolution, plutôt une modification, au sens de Michel Butor : Jase Rex découvre par petites touches, au fil de disques, que ses aspirations trouvent peut-être plus à s'épanouir dans une musique dialectique que cloisonnée.
Entre l'amour des durées et celui des brisures, States Of Spaces est un disque de l'entre-deux, à mi-chemin entre le gouffre émotionnel des sorties Echospace ou Sending Orbs et l'onirisme craquelé de Plaid, Apparat ou Boards Of Canada. Disque intermédiaire aussi dans sa façon de s'écouter, puisque si nous sommes pris par une grande sensation de cohérence, ne sachant pas toujours quel morceau nous écoutons, pris dans la grande narrativité de l'ensemble, il est en revanche très facile de repérer quelques titres saillants, remarquables pour ne pas dire immanquables. Impossible par exemple de ne pas évoquer "Inflationary" ou "She Said", deux titres miraculeux qui, à eux seuls, devraient vite faire grimper Jase Rex dans la hiérarchie des artistes IDM reconnus. Car Another Electronic Musician reste un projet confidentiel, au nom qui ne sonne pour l'instant pas très ironique. Mais confidentiel ou pas, States Of Spaces est un grand disque, à placer au même rang que le There Is Love In You de Four Tet. Que ce soit entendu !
Chronique également disponible sur Goûte Mes Disques
Site Officiel : anotherelectronicmusician.com