Pas grand-chose de neuf en apparence lors du 22e sommet des pays de la Ligue arabe qui vient de se tenir en Libye. Pourtant, à côté les traditionnelles déclarations pleines de bonne volonté à propos des “pourparlers de paix”, on note la conclusion du Secrétaire général de la Ligue, Amr Moussa, appelant à la création d’un bloc régional associant les pays arabes aux deux grandes puissances régionales que sont la Turquie et l’Iran.
Un tel projet – accueilli d’ailleurs avec un enthousiasme assez relatif – relève de la science-fiction. Mais le seul fait qu’il soit seulement évoqué témoigne également d’une lente évolution des esprits vers un “New Middle-East” qui n’est pas précisément celui qu’avaient imaginé les stratèges de Washington … Naguère place-forte de l’Otan (dont elle est membre depuis 1952), la Turquie adopte en effet des positions de plus en plus critiques vis-à-vis du “meilleur allié” US dans la région, l’Etat israélien. Ponctuée par quelques coups d’éclats tel l’accrochage au forum de Davos en janvier 2009, entre le président de l’Etat israélien, Shimon Pérès, et le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, une toute nouvelle idylle se développe entre l’ancienne puissance impériale ottomane et l’opinion arabe presque aussi passionnée par les coups d’éclat des Turcs que par les intrigues sentimentales de leurs téléfilms (voir ce billet).
Néanmoins, l’actualité politico-culturelle aujourd’hui, ce n’est pas celle des feuilletons à l’eau de rose distillés par les studios d’Ankara mais bien celle des soap opera ouvertement critiques des méthodes de l’Etat israélien, que produisent les chaînes télévisées turques et qui sont rediffusés par leurs homologues arabes. Le dernier épisode en date de cette forme nouvelle de “conflit de basse intensité” a eu lieu il y a quelques jours à peine, lorsque la MBC, une des plus importantes chaînes panarabe à capitaux saoudiens, a entamé la diffusion du Cri des pierres (صخرة حجر, Ayrilik en turc : illustration en tête de ce billet), un feuilleton qui décrit, sans craindre les images choc, les brutalités subies par la population palestinienne dans les Territoires occupés. C’est peu de dire que la série turque, qui devrait également être repris par la chaîne Dubai TV dans sa version doublée en syrien, n’a rien pour plaire à Tel-Aviv. Entre autres gracieusetés, on y voit par exemple des soldats de l’armée d’occupation assassiner de sang-froid un nouveau-né, ou encore violer une femme sous les yeux de son enfant…
Sa programmation en janvier dernier sur une chaîne publique turque a suscité une véritable crise entre la Turquie et Israël. Convoqué, l’ambassadeur d’Ankara à Tel-Aviv avait alors subi une véritable humiliation, à l’origine d’un bras de fer entre les deux diplomaties, pour se terminer par des excuses officielles du ministre israélien des Affaires étrangères, et par la diffusion sur les petits écrans turcs du programme incriminé, sans la moindre modification. Il était en définitive assez inévitable qu’une chaîne de divertissement comme la MBC, flairant la bonne affaire commerciale, s’empresse d’acheter les droits d’une production dont le succès était parfaitement assuré auprès de son public en raison de sa manière de traiter la question palestinienne, mais aussi parce qu’elle répond à l’engouement actuel du public arabe pour les feuilletons trucs.
Bien sûr, certains dans le monde arabe voient d’un mauvais œil ces “turqueries” trop modernes pour être honnêtes. Non sans raison, d’autres rappellent aussi que les télévisions locales ont elles-mêmes produit des fictions d’une qualité au moins égale (à commencer par L’invasion, récompensé par un Emmy Award en 2008 : voir ce billet). Il n’en reste pas moins que l’enthousiasme des spectateurs arabes pour les feuilletons produits par les héritiers de l’Empire ottoman inquiète fort les autorités israéliennes. Mieux que personne sans doute, elles savent l’importance de la communication politique, et le rôle que jouent à cet égard les fictions diffusés dans les médias de masse.
Leur capacité à imposer leur récit est aujourd’hui de plus en plus remise en cause dans la région, non seulement par l’émergence d’un système médiatique panarabe de toute manière peu sensible au point de vue sioniste, mais également par la défection de l’ancien allié turc (pour ne rien dire de l’iranien, disparu sans espoir de retour depuis la Révolution islamique). Pire, de nouvelles alliances se dessinent qui pourraient redonner vie à d’anciennes solidarités dans une région où l’Etat israélien ne saurait trouver de place…
Comme l’explique le scénariste, il s’agit bien dans cette super-production panarabe, dont un doublage en turc est déjà prévu et qui sortira lors du prochain ramadan, d’aller à l’encontre des idées reçues. Pour le scénariste, il s’agit de montrer que l’Empire ottoman, bien loin d’être la cause de la décadence arabe, fut d’abord et avant tout la victime des puissances européennes bien décidées à se débarrasser d’un pouvoir qui empêchait leurs propres visées sur la région (lien en principe mais il n’a pas l’air de vouloir ouvrir !).
هناك شيوع بان الدولة العثمانية هي دولة ظالمة جرت العالم العربي إلى الانحلال والتخلف، وللاسف اخذ العديد بها، وهذا الفهم الخاطئ للدولة العثمانية ساهمت فيه الدولة التركية الحالية أو التي يقال عنها، تركيا العلمانية الحديثة، والتي شوهت تاريخ الدولة العثمانية خاصة من جانب نظام اتاترك، بالإضافة إلى الاستعمار الاجنبي الذي قام بتفتيت العالم إلى اجزاء منفصلة، لذلك سعى إلى تدمير الامبراطورية العثمانية التي كانت تقف حائلاً ضد مشروعة
Par fictions interposées, on est bien, sur les écrans arabes et turcs, en train de refaire l’histoire !
Pour ceux qui voudraient voir à quoi cela ressemble, le lien vers le site de la MBC avec tous les épisodes. Et cet autre lien, vous conduit vers une émission (en arabe) de Al-Arabiya durant laquelle intervient un responsable de la MBC. On peut y visionner un montage des séquences les plus “fortes” du feuilleton (vers 3′50).
Un point de vue israélien iconoclaste et courageux à propos du feuilleton Le cri des pierres, celui de Gilad Atzmon (par ailleurs excellent saxophoniste) sur son blog en anglais (traduction en français ici).