L’électroencéphalogramme (EEG), comme l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRM f) sont deux techniques permettant de mettre en évidence l’activité du cerveau. Mais de là à déduire que l’activité cérébrale observée grâce à ces méthodes révèle notre inconscient il y a un pas qu’il serait dangereux de franchir.
Quelques chiffres
Le cerveau adulte moyen pèse 1.6Kg et contient 100 milliards de neurones, qui lui permettent de réagir à un stimulus en moins de 30 millisecondes.
En 2003, étant donné la grande variabilité interindividuelle, expliquée entre autre par l’extraordinaire plasticité du cerveau, pas moins de 7000 cerveaux ont été scannés par l’International Consortium for Brain Mapping afin de déterminer une première cartographie cérébrale. En outre, on ne constate que 74% de corrélation entre l’activité fonctionnelle observée par imagerie et le comportement réel ou l’émotion ressentie par l’individu et l’IRM f, qui a bouleversé notablement le domaine des neurosciences, ne peut fonctionner que si l’individu étudié est immobile et très concentré sur sa pensée. D’où la nécessité de rester très vigilant face à des déductions trop hâtives. L’utilisation de l’imagerie cérébrale dans les domaines judiciaire, politique, économique… pouvant créer bien des conflits d’intérêt se doit donc d’être proscrit.
Neurosciences et affaires judicaires : l’imagerie cérébrale n’est pas un détecteur de mensonge
La littérature regorge néanmoins de résultats laissant croire que l’imagerie cérébrale serait à minima une sorte de lucarne sur la pensée. C’est sûrement pourquoi, on recense différentes affaires liant neurosciences et justice. C’est à New York en 1991 qu’a lieu pour la première cette confusion des genres. Un retraité tue sa femme et maquille le meurtre en suicide en jetant le corps du haut de l’immeuble. Un an plus tard, il avoue, mais invoque la non-responsabilité en brandissant des clichés de son cerveau présentant un kyste. En 2008, en Inde, Aditi Sharma est condamnée à perpétuité pour avoir empoisonné son ex-fiancé à l’arsenic. La preuve à charge fournie par le laboratoire médico-légal de Bombay est tout simplement l’EEG de celle-ci, qui indique que son cerveau réagit à l’identique à l’écoute de « j’ai eu une liaison avec Udit », « J’ai acheté de l’arsenic dans un magasin », « j’ai appelé Udit » et « J’ai mélangé l’arsenic à sa nourriture ».
Trois mois plus tard, l’institut indien des neurosciences et de la santé mentale, déclare que les scanners cérébraux ne doivent pas être utilisés dans les affaires judiciaires et la jeune fille de 24 ans est donc libérée sous caution 6 mois plus tard. Mais ce détecteur de mensonges nouvelle génération, fortement controversé avant le procès, mais néanmoins utilisé, n’a pas fini de faire des siennes. En effet, aux Etats-Unis se développent deux sociétés spécialisées dans la détection de mensonges : No Lie MRI et Cephos, qui eux utilisent la résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf). En mars 2009, No Lie MRI affirme que sa technique est fiable à 93% et espère atteindre d’ici peu les 99%.
Vers une mission de réflexion bioéthique
Dès lors, même si le tribunal californien a refusé de prendre en considération l’IRMf afin d’innocenter une femme accusée d’abus sexuels sur mineur, il est clair que la boite de pandore a été ouverte. « Notre cerveau les intéresse, alerte Olivier Oullier. Eux, ce sont les publicitaires, les économistes, les industriels, tous ceux qui voient dans les neurosciences une façon d'atteindre la part d'irrationnel impliquée dans nos choix, qu'il s'agisse d'une décision d'achat ou d'un bulletin de vote ». Les évolutions actuelles de la société française inquiètent par ailleurs Didier Sicard, président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique. Notamment la détection, souhaitée par certains, des signes avant-coureurs de délinquance chez les enfants de trois ans et le choix d'ajouter à l'arsenal judiciaire une peine de sûreté préventive pour garder en détention les criminels ayant purgé leur peine mais susceptibles de récidiver... « Notre société ne supporte plus l'incertitude, dénonce-t-il. Elle souhaite anticiper, prédire à tout prix et peu importe la véracité de la prédiction ». « La rapidité avec laquelle les neurosciences conquièrent notre société est déconcertante. L'expertise apportée par les neurosciences est interprétée comme une vérité ». Jean-Michel Besnier philosophe de l'université Paris IV estime que « Tout se passe comme si nous étions tentés d'imiter les machines que nous créons... S'il y a quelques années, la première greffe de cœur avait engendré une vive émotion au sein de la population, aujourd'hui nul ne s'étonne qu'une puce électronique puisse être posée dans un cerveau... ou qu'il faille donner des cachets aux enfants que l'on juge trop actifs ». Jean-Didier Vincent, directeur de l’institut de neurobiologie Alfred Fessard craind des dérives eugénistes: « Est-il si inconcevable d'imaginer que certaines prouesses comme l'observation du développement cérébral des fœtus pourraient ouvrir la porte à de nouvelles formes d'eugénisme ? ». D’où la nécessité d’une réflexion éthique sur les applications qu’offrent les neurosciences, afin de ne pas tomber dans des dérives sécuritaires, économiques ou même eugéniques, que représentent notamment l’idée d’un aire cérébrale de la criminalité, le neuro-marketing ou les implants cérébraux pour un homme « augmenté ». Voir ici l’excellent article de la cité des sciences à ce sujet.
Pour aller plus loin : Imagerie_cerebrale. Articles sources : ici et là + Magazine N°345 de ça m’intéresse. Imagerie cérébrale et inconscient ici, ici et là. Autres articles là, là et là.