“Mme Nein” a fini par dire oui. Donnant-donnant. Oui à des prêts de la zone euro sous réserve du principe d’une intervention du Fonds monétaire international (FMI) et d’un engagement à durcir la discipline budgétaire.
La fermeté, pour ne pas dire l’intransigeance allemande a fini par payer. La chancelière a imposé ses vues. Pas question d’effacer d’un coup d’éponge les erreurs de gestion et la malhonnêteté sur les chiffres des autorités Grecques. La gratuité n’existe pas en matière financière. Au final il y a toujours un payeur et l’Allemagne ne veut pas être celui-là.
La chancelière sait que dans son pays, au fil des ans, le sentiment de culpabilité de l’histoire s’estompe, remplacé par un euroscepticisme alimenté par dix années de diète salariale. La situation est évidemment ambiguë. La dérive représentée par la Grèce est aussi le fruit dugouvernement économique qu’elle a toujours refusé.
Le non initial allemand a débouché sur un feu vert pour que le Conseil européen devienne le véritable gouvernement économique de l’Europe, une idée maintes fois défendue par la France.
Beaucoup d’observateurs dénoncent un accord peu glorieux. Il n’est pourtant que le reflet fidèle d’une situation longuement ignorée. Depuis la naissance de l’euro, la priorité a été donnée à un élargissement tous azimuts et non, comme cela aurait du être le cas à un approfondissement de la construction européenne.
Seule monnaie au monde orpheline d’Etat, l’euro s’est construit sur la solidité du mark et la force économique de l’Allemagne. Illustration de ce lien particulier,Angela Merkel rappelait dernièrement devant les députés du Bundestag, que “le peuple allemand a placé dans l’euro la confiance qu’il avait dans le deutsche Mark. Le gouvernement fédéral ne peut trahir cette confiance à aucun prix”.
Si la situation aujourd’hui est aussi dégradée c’est que l’euro a été utilisé comme un paravent face à des situations économiques très disparates. Loin de se réduire, les écarts entre pays se sont creusés, alimentés par le sentiment d’une richesse aussi soudaine que trompeuse. Les États de la zone euro ont adopté un euro, ersatz de mark, sans tendre vers le modèle économique allemand. Au contraire, le différentiel de compétitivité s’est très largement dégradé.
Angela Merkel, en vraie taulière de l’Europe, présente aujourd’hui la facture et indique avec fermeté que la maison ne fait plus crédit. Un sentiment largement partagé par ses concitoyens, à l’image des propos de la vice-présidente allemande du Parlement européen, Silvana Koch-Mehrin (FDP) :”L’UE s’est agrandie et le carnet de chèque allemand a rétréci. On ne peut plus se débarrasser des conflits en utilisant de l’argent allemand comme avant.“
L’Allemagne qui estime avoir payé sa dette à l’égard de l’histoire ne veut plus ouvrir son tiroir-caisse. Elle pose finalement une bonne question : à quoi sert d’avoir une monnaie unique si chacun fait ce qu’il veut ?
L’épisode Grec présente l’opportunité de redéfinir les règles du jeu. A cet égard, le joueur qui tient la banque est le mieux placé pour le faire. Pour faire le ménage, Angela Merkel a imposé le FMI. Si l’orgueil européen en prend un coup, cette solution a le mérite de préserver le relatif crédit des institutions de l’Union à l’égard des populations en ne lui faisant pas porter le chapeu de décisions impopulaires. Elle préserve aussi pour demain la confiance des Allemands dans la construction européenne.
Pour autant, le fait d’accorder des prêts à des taux acceptables n’efface pas les dettes abyssales des Etats. Privés de toute possibilité de dévaluation, les États du sud et demain la France, seront contraints à leur tour à mettre leurs peuples au régime sec. Le risque social est majeur d’autant que le retour d’une croissance molle ne permettra pas d’échapper à la punition. A ce titre l’annonce du gouvernement français d’une revalorisation du traitement des enseignants dernièrement recrutés apparaît totalement anachronique.
Trop longtemps, l’idée européenne a été bercée au fil de déclarations creuses, d’une europhilie des élites régulièrement désavouée lors de consultations électorales. Le réalisme et le pragmatisme d’Angela Merkel offrent l’occasion de s’interroger sur ce qui ne marche dans une construction politique.La petite phrase prononcée par le général de Gaulle en 1965 n’a pas pris une ride : “Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !… mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien“.
On mesure aujourd’hui les limites d’une monnaie présentée comme une grande réussite et pourtant ressentie négativement dans une large partie de l’opinion publique européenne. Dix ans après sa création, il est temps de réussir l’euro et de le sortir du milieu du gué où il est resté. C’est surtout une façon concrète d’affirmer son attachement à l’Europe.
Car contrairement au mauvais procès qu’on lui fait, le quotidien Le Temps (Suisse) rappelle qu’ Angela Merkel est une Européenne convaincue : “Elle n’a pas moins d’ambition pour l’UE que Nicolas Sarkozy ou Gordon Brown – davantage, peut-être. Mais elle sait, pour avoir grandi dans la partie du continent qui a souffert des divisions d’après-guerre, qu’un projet d’union qui se nourrit du passé («plus jamais la guerre entre nous») ou de coûteuses promesses («L’Europe solidaire») finit par s’ensabler“.
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