Un soir que j’enfonçais avec une belle assurance mes trois plus grosses phalanges dans sa chair bombée, Mamy Soon embrassait goulûment son milk-shake à la fraise. La sachant dotée de doigts de maître pour diriger l’opération, j’ordonnai à mon sang de rester froid le plus longtemps possible. «Voilà, maintenant tu relâches doucement et, tu verras, elle va te répondre.» Evidemment, j'ai tendu l'oreille alors que la réponse me tapotait les ongles. «Elle bouge.» C’est comme ça qu’il faut dire je crois. Baby Soon bouge. Si l’événement n’a pas empêché ma femme de déglutir son machin glacé, dans ma réalité d’homme, ma fille a bougé comme Frankenstein a été vivant, Armstrong a marché et Tiger Woods a trompé. Un événement majeur après quoi rien n’est plus pareil. Il y a désormais un avant et un après «Baby Soon bouge».
Un peu comme Avatar, le film. A chacune de ses apparitions sur toile géante, James Cameron renvoie ses rivaux réviser leurs gammes technologiques. Le développement intra-utérin d’un fœtus me fait d’ailleurs penser à l’évolution du cinéma au fil des bobines. Pour faire (très) simple: le muet, la couleur et la 3D.
Je me rappelle avoir déchiffré le test de grossesse comme on lisait le sous-titrage des répliques dans un Chaplin. D’avoir, ensuite, découvert le «visage» de ma fille comme a dû le faire mon grand-père avec celui de Becky Sharp dans le premier long-métrage en Technicolor. La 3D, enfin, offre aujourd’hui cette fantastique sensation de liberté. Cette impression grisante de pouvoir pincer, dans le dernier Tim Burton, la truffe humide du chat du Cheshire lorsqu’il s’approche trop près du paquet de pop-corn. Oui, l’écran de cinéma n’est plus ce tout-puissant bouclier à notre immersion totale dans l’Histoire. Comme le ventre d'ailleurs.
Bon sang, n’aurais-je pas, là, découvert l’ultime clef qui permettrait à l’homme de résoudre le mystère de la grossesse? Suffirait-il donc de coiffer son nez d’une paire de lunettes spéciales pour se glisser en toute connaissance de cause dans l’esprit exalté d’une femme enceinte?
Merci James, merci Tim. Grâce à vous, je vais enfin comprendre pourquoi Mamy Soon a besoin de violer ce milk-shake à la fraise alors qu’elle vient à peine d’assassiner un Big Mac et son bataillon de frites.