Les ancêtres ont légué leurs terres aux peuples qu'ils ont laissés derrière eux, à condition qu'ils continuent à célébrer les cérémonies et à produire les peintures qui témoignent de leur puissance créatrice. Les premiers humains à occuper la terre passent pour les ancêtres des hommes qui y vivent aujourd'hui. La pratique de la peinture et la connaissance de son contenu symbolique attestent du lien à un territoire donné. En effet, la pratique de l'art régénère le lien entre terre et esprits. Pour cette raison, la connaissance des peintures et le droit d'en produire sont extrêmement réglementés; les peintures ne peuvent être produites que par les personnes y ayant été habilitées. Même si, dans toute l'Australie, l'art est étroitement associé au paysage et aux voyages des êtres du Temps du Rêve, on observe de grandes variations dans la façon dont l'art est associé à l'identité du groupe et aux relations entre sexes. En Terre d'Arnhem orientale, et dans les régions du centre de l'Australie où la population est la plus dense, les terres, les peintures et autres manifestations du Temps du Rêve sont la propriété de certains clans (groupes d'individus liés par une ascendance commune), tandis que dans d'autres régions, les droits pour produire des peintures et les droits attenant au territoire sont plus aléatoires. »howard morphy.l’art aborigene.phédon
Les aborigènes de la Terre d'Arnhem se divisent en plusieurs groupes linguistiques mais qui possèdent des formes d'organisation sociale similaires et partagent de nombreuses croyances religieuses et de nombreuses cérémonies. Leur art reflète la complexité des structures sociales autour desquelles s'organise la vie religieuse et profane, et qui codifient les rapports avec les ancêtres mythiques, les cérémonies et les rêves. Beaucoup de récits mythiques ont une origine bien localisée et circulent ensuite à travers la région où ils acquièrent une signification plus large en reliant entre eux les clans qui y sont associés. C'est le cas, en particulier, des rêves relatifs aux Pythons Arc-en-ciel ,auxSœurs Wawilack, aux Djang'kawu
L'art traditionnel des Yolngu de la Terre d'Arnhem semble a priori très différent de celui des groupes du désert. Toutefois, l'intention cosmologique et symbolique des deux communautés est très similaire.
Le ciel, la mer et la terre sont pour tous les Aborigènes un livre rempli de signes qui au cours des âges se sont enrichis d'événements géologiques, climatiques, et d'expériences historiques.
Les premiers navigateurs et arpenteurs de la terre sont identifiés aux forces de la nature : Serpent Arc-en-ciel séparant telle île du continent, Hommes Éclair formant des lits de rivière, Émeu Géant ouvrant des vallées, marée de Prunes noires trouant des roches. Ces mythes fondateurs garantissent l'authenticité culturelle des récits du fait qu'ils s'inscrivent dans des lieux précis du paysage reliés entre eux par des lignes de chants. La tradition n'est pas figée pour autant : elle se nourrit au contraire de l'interprétation que les générations successives donnent de leurs expériences et de celles de leurs ancêtres, notamment en les transposant dans des danses, des peintures et des rites. barbara glowczewski.pistes de reves ed.du chene.
D'une superficie d'environ 150 000 km2, la Terre d'Arnhem offre une grande diversité de cadres naturels qui vont des grands plateaux calcaires de l'ouest, creusés de gorges innombrables aux parois décorées de magnifiques peintures rupestres, aux régions plus basses où se juxtaposent un vaste réseau fluvial, des lagunes d'eau douce, des jungles de pays de mousson, des forêts clairsemées, des déserts arides et pierreux, des étendues marécageuses, des zones côtières, des îles.
L'élévation du niveau de la mer, il y a près de 10 000 ans, en rapprochant la zonelittorale du pied des escarpements, fit entrer la faune marine dans la peinture pariétale. l'art rupestre fut particulièrement florissant avec l'apparition des fameuses « figures dynamiques », représentations d'êtres humains qui caractérisent l'art pendant quatre millénaires. Elles sont parfois pourvues de coiffes compliquées, d'armes et d'autres objets de la culture matérielle tels les éventails en plumes d'oie. Les êtres humains sont parfois figurés en train de chasser ou d'effectuer des rituels. On distingue également des scènes de bataille. Le style des « figures dynamiques » apparut à l'époque où le niveau de la mer ayant monté, la région des Alligator Rivers était devenue un estuaire saumâtre au pied de l'escarpement. Les espèces animales, qui vivaient dans la mer ou l'eau saumâtre, devinrent des motifs récurrents.
C'est au cours d’une période plus tardive période tardive - entre 3000 et 6 000 ans - qu'apparaît pour la première fois le Serpent arc-en-ciel : être fantastique de forme allongée qui combine les traits caractéristiques de plusieurs animaux disposés le long d'un corps de python géant Aujourd'hui, le Serpent arc-en-ciel est associé aux cérémonies régionales qui rassemblent des individus venus de très loin pour célébrer la fécondité et la structure communautaire. On peut voir à travers l'art l'essor de ces rituels et de la notion clanique. Sans doute ces deux phénomènes ont-ils favorisé l'émergence d'une société étroitement liée à son territoire qui existait encore à l'époque de la colonisation européenne.
Cette période plus récente se caractérise par le développement et l'apogée d'un nouveau style, celui dit aux « rayons X ». L'expression « rayons X » fait référence aux organes internes et à la structure des animaux qui sont représentés de manière réalistes
Les peintres du Pays Rocheux pratiquent ainsi une sorte de peinture anatomique qui a acquis une certaine renommée sous le titre de « Peinture aux rayons X ».
Si on remarque que l'artiste peint de cette façon surtout les animaux dont il fait sa nourriture préférée, nous pouvons déjà mieux comprendre son raisonnement. Il ne les voit pas seulement avec ses yeux, mais il les « voit » aussi avec son estomac. Le fait qu'il n'insiste pas sur ces caractéristiques lorsqu'il peint des animaux totémiques pour lesquels son intérêt est tout différent, justifierait cette assertion. N'étant plus attiré par leur chair, il insiste sur leur aspect extérieur. Il suit son raisonnement quand il s'agit de la forme humaine, en rendant apparentes quelques parties du squelette qu'il sait et sent dans son propre corps et en négligeant les organes interne »karel kupka. un art a l’état brut. lausanne
Les peintures sur paroi les plus récentes contiennent des scènes et des images qui témoignent de contacts avec les Macassars et, plus tard, avec les Européens.
Des voiliers asiatiques ont annuellement visité pendant des siècles les côtes nord du continent pour venir pêcher des bêches-de-mer. C'est à ces visites - bien antérieures à la colonisation européenne il y a deux siècles — que les Yolngu attribuent certains éléments qu'ils ont intégrés dans leur culture.
Les explorateurs qui visitèrent les côtes de l'Australie du Nord dans les années 1830 s'émerveillèrent de la richesse des peintures aborigènes sur écorce d'eucalyptus de cette région. Par l'intermédiaire des missionnaires, puis des anthropologues, les premières collections ethnographiques commencèrent à remplir les musées occidentaux. Les écorces peintes allaient fournir aux aborigènes un moyen privilégié pour transmettre à l'extérieur de leur communauté la complexité de leur savoir et de leur mythologie. Ce dialogue interculturel fut associé à la reconnaissance de la culture et des droits aborigènes (loi foncière pour l'ensemble du Territoire du Nord : le Northern Territory Land Rights Act de 1976). Ainsien 1963, les différents clans des Yolngu réalisèrent une écorce envoyée au Parlement australien en guise de pétition pour protester contre l'ouverture d'une mine de bauxite et pour la reconnaissance de leurs droits à la terre.
« Ainsi, sous des pressions internes et externes, la production de peintures sur écorce, sur objets ou sur toile pour la consommation touristique et muséale s'est élargie. Ces peintures sont pourtant plus que des marchandises. Au travers de ces pièces, producteurs, acheteurs, admirateurs, critiques, ethnologues, ou artistes, entament un dialogue culturel. Un dialogue direct et indirect, un dialogue fragile, un dialogue incertain, certes, mais un dialogue. Ces expressions artistiques ne sont pas créées que pour être admirées. Elles témoignent de relations sociales contemporaines, rendent compte d'un passé traditionnel et artistique riche, sont les marques de résistance à l'assimilation, et nous montrent le dynamisme culturel des sociétés aborigènes. Que ce soit aujourd'hui ou hier, dans leurs peintures, les Aborigènes racontent ce qui est important pour eux, ce qui fait leur identité : les liens entre la terre, les vivants, les ancêtres mythiques, et les autres groupes aborigènes ». Françoise dussart.la peinture des aborigènes d’Australie ed.parentheses
Certaines « écorces » racontent seulement des versions publiques d'événements mythiques et sont toujours présentées à des jeunes gens lors de leurs cérémonies d'initiation. C’est ce rôle pédagogique qui a ainsi permis la vente des œuvres sans avoir un effet négatif sur les activités religieuses et claniques.
« La peinture sur écorce est incontestablement la plus caractéristique des différentes formes d'art pratiquées par les aborigènes.
L'écorce de quelques espèces de cet arbre semble destinée à être peinte. Elle est à la fois lisse, souple, mais ferme. Les peintres indigènes cherchent longtemps avant de choisir le morceau qui les satisfera. L'arbre doit être sain, droit, son écorce sans craquelures. Ce morceau est découpé avec une hachette, détaché lentement et précautionneusement du tronc. Puis, et cela de préférence dans le camp, il est aminci, nettoyé, déroulé au-dessus du feu. Ce dernier travail, qu'on effectue à plusieurs reprises, est assez long. L'écorce est alternativement chauffée et courbée en tous sens à l'aide du genou ou du pied, jusqu'à ce qu'elle reste bien droite. Ensuite, on la maintient à plat sous une charge de pierres ou de sable. Au bout d'un ou. de plusieurs jours, selon le temps qu'il fait, elle est assez sèche pour être peinte. La première couche protectrice est habituellement appliquée sur la face intérieure, plus lisse. Elle est enduite d'un suc gluant qui provient de la tige d'une orchidée sauvage et qu'on remplace quelquefois par d'autres fixatifs naturels. Dans plusieurs régions, un pigment rouge ou noir est mélangé au suc pour servir de fonds à la peinture.
Les couleurs utilisées sont le jaune, le rouge et le brun (ocres naturelles), le blanc (terre à pipe) et le noir. Ce dernier est fait plutôt de fusain écrasé que de noir minéral, très rare. Les aborigènes sont prêts à marcher des centaines de kilomètres pour se procurer une ocre jaune et rouge de la teinte la plus pure. C'est une source de richesse pour la tribu qui en possède sur son territoire, parce qu'elle sert de monnaie d'échange fort prisée dans le troc avec les autres tribus. Nos couleurs industrielles, offertes parfois par les Blancs de l'administration indigène n'ont pas eu jusqu'à présent, et l'on s'en félicite, beaucoup de succès. Si un peintre les utilise, ce qui est l'exception, il se limite normalement aux teintes de sa palette habituelle. La fabrication des couleurs traditionnelles ne pose pas de grands problèmes. Le peintre laisse ses terres colorées tremper dans des coquilles ou autres récipients de fortune ou, si elles sont trop dures, il les frotte sur une pierre en ajoutant de l'eau, jusqu'à ce qu'il obtienne la pâte qui convient. ». karel kupka. un art a l’état brut. lausanne
« L'artiste commence sa peinture sans aucun dessin préliminaire et travaille avec une merveilleuse sûreté qui ne connaît quasiment pas les retouches. Il ne modèle pas en nuançant sa couleur et l'applique uniformément pour déterminer les formes choisies qui sont ensuite cernées et divisées par une ligne précise, blanche de préférence. Le treillis, la hachure linéaire et les points sont abondamment utilisés.
cause maints tracas aux conservateurs de musées. Elle se détériore rapidement si elle n'est pas l'objet de soins méticuleux L'humidité lui est particulièrement néfaste et beaucoup de belle œuvres ont été irréparablement endommagées par la moisissure On comprendra qu'une pareille fragilité rende absurde la question qu'aiment à poser quelques « connaisseurs » de cet art « Quel est l'âge de cette pièce ? » En effet, le hasard seul perme de trouver chez les aborigènes une peinture « vieille » de plu sieurs mois au maximum. Ils ne gardent pas leurs peintures sur écorce et, même s'ils le pouvaient, ne se soucieraient pas de le conserver. Ce n'est que le fait de peindre, l'acte même de 1a création qui compte pour eux. » karel kupka. op.cite.
Les peintures sont exécutées à plat, l'écorce étant posée sur le sol ou sur les genoux de l'artiste qui la fait pivoter à mesure que la composition avance, de sorte que le produit fini n'a souvent aucun angle de vue prédéterminé. Par contre, parce que ces tableaux traduisent des rapports entre les divers aspects de la réalité physique, sociale et spirituelle, la disposition de leurs éléments en fonction des point cardinaux peut avoir une signification importante. La position des images dominantes peut aussi indiquer une orientation préférée.
Les motifs peints sur le corps et sur les écorces d'eucalyptus dérivent des êtres créateurs (Wangarr) : ils sont les « ombres » des motifs portés par les Wangarr. Les diamants typiques des Yirritja se déclinent sous plusieurs formes. Chaque clan possède une mosaïque de losanges unique, des petits aux plus allongés, aux origines mythiques diverses. Ces polygones représentent par exemple les cellules de la ruche d'abeilles pour les Gupapuyngu et les écailles du crocodile brûlé par le feu pour les Gumatj.
Les maillages des Dhuwa se composent de lignes parallèles qui ondulent et qui se croisent, faisant apparaître des formes géométriques. Ces lignes peuvent signifier des trajectoires ou le mouvement des flux marins et des courants. Comme pour les diamants Yirritja, chaque tracé est associé à un lieu et à la signature d'un clan. Les motifs les plus sacrés sont appelés likan, le coude ou l'articulation. Les combinaisons de lignes et de couleurs particulières expriment la spécificité de chaque clan, ornant les objets les plus sacrés du clan (rangga), eux-mêmes des transformations des êtres Wangarr, sont réputés scintiller ou briller, le même terme s'appliquant aux rayons du soleil. Les lignes et les hachures se superposent, créant une illusion de mouvement. L'effet de radiance est la qualité esthétique la plus recherchée, car elle témoigne du talent de l'artiste et de sa capacité à transformer un morceau de bois en un objet incarnant le pouvoir des ancêtres. Cette iridescence est la manifestation du marr, le pouvoir spirituel des Wangarr contenu dans les objets sacrés. . barbara glowczewski.op.cite.