On ne le dira jamais assez : le vin réussit à créer des liens inimaginables entre ceux qui le chérissent. Ce séjour chez Hervé est un exemple frappant. Peu de choses me rapprochent de ce retraité de 65 ans vivant dans la campagne nivernaise, si ce n'est qu'il me connaissait depuis plusieurs années via le forum LPV et mon blog. Il m'avait contacté il y a un mois afin de m'acheter quelques bouteilles. Il devait passer les récupérer sur Bergerac en avril. Mais comme je n'étais pas trop sûr de ma disponibilité durant cette période, et que je devais passer à quelques kilomètres de chez lui, je lui ai proposé de faire une halte à Saint-Pierre le Moutier (enfin à quelques kilomètres) pour lui livrer le vin et faire connaissance.
Mon GPS a été très farceur sur le coup. Alors que c'était d'une simplicité enfantine pour y aller (à quelques centaines de mètres de la nationale 7) il m'a fait sortir de celles-ci quinze kilomètres avant, fait passer par des chemins vicinaux improbables. J'ai fini par appeler Hervé avec mon portable ... lorsque j'étais à 300 mètres de chez lui !
J'arrive donc dans une immense cour de ferme désaffectée où m'attendent Hervé et Evelyne, son épouse. Comme ça m'est déjà arrivé auparavant, c'est toujours bizarre d'arriver chez des personnes qui vous connaissent plutôt bien à travers ce que vous avez pu écrire (enfin surtout Hervé qui me "suit" depuis plus de 5 ans !). On me demande de faire le tour du bâtiment pour déposer mes affaires ... et je découvre une maison plus bourgeoise (je comprends pourquoi ça s'appelle le manoir).
Cette maison est carrément immense, avec des portes et des escaliers partout. Je m'y perds un peu au début ... et même à la fin. Mes hôtes ont moultes enfants et petits enfants et il faut de la place pour les accueillir pendant les vacances. J'imagine l'ambiance lorsqu'une dizaine de marmots courent dans tous les sens chez papy et mamy ;o)
Il se passe relativement peu de temps avant que nous nous mettions à table. Et je vois un Hervé aux yeux malicieux revenir avec deux bouteilles de vins blancs emballées dans de l'alu. L'heure des épreuves a sonné !
Le premier vin n'a pas un nez très enthousiasmant : pomme un peu blette, curry éventé. Au départ, je me dis que ça doit être un roussillon oxydatif, car la bouche a un côté un peu alcooleux. Et puis, je me reprends : c'est un Loire dans un style "nature" ! Hervé enlève le papier alu ... et c'est un Touraine "les 2 chênes" 2005 de Vincent Ricard ! [ je me demande si elle n'avait pas un problème, cette bouteille, car de ce que j'ai pu en lire, ça a l'air mieux que ce que j'en dis]
Le deuxième vin a un très beau nez qui contraste avec le précédent : coing, fleurs, agrumes, épices. Une bouche mûre, avec un beau volume, et en même temps une fine acidité qui lui apporte de la fraîcheur. C'est à la fois gourmand et élégant, très bien fait, avec une finale qui se termine sur des jolis amers. Ca, c'est du chenin de Loire à l'ouest de Tours (pas Vouvray ou Montlouis, donc). Après... difficile de dire. Hervé enlève le papier alu, et c'est ... un Chinon blanc 2008 du domaine de la Noblaie. Bingo ! Ca, c'est vraiment très bien, et en plus à un prix très abordable, apparemment (7-8 €).
Nous mangeons avec ces vins des charcuteries régionales qui s'avère fort bonnes.
Arrive une carafe de rouge...
Je le sens. Je n'hésite pas deux secondes : MEDOC ! Avec cabernet sauvignon majoritaire. Le nez est un mélange de cassis, ronce, sous-bois et cèdre. Que ce soit aux arômes qui commencent à évoluer, ou à la robe entre deux âges, je dirais que c'est un vin "early matured" (en début de sa phase de maturité). Dix ans environ. Hervé amène la bouteille...
Ce soir, je suis vraiment chanceux ! Hervé et Evelyne vont vraiment croire que je suis super bon (alors que je peux être d'une nullité affligeante). Pour les laisser sur cette bonne impression, j'amène la prochaine bouteille. C'est en fait l'un des vins que j'ai vendu à Hervé : Domaine de l'A 2007 (le domaine de Stéphane et Christine Derenoncourt en côtes de Castillon).
L'enjeu est énorme : si le vin ne lui plait pas, peut-être va-t-il exiger un remboursement ? Me les fracasser sur la tête ? Que sais-je encore ? Autant dire que je tremble lorsque je lui verse le vin dans le verre... Après m'être servi, je hume le mien : ouf! Il sent super bon : crème de fruits noirs, épices grillés, chocolat noir. Hummmm. En bouche, c'est rond, d'une bonne puissance, avec un fruit frais qui explose, et des tannins qui vont se polir au fil de l'aération. La finale est gourmande et incite à s'en servir de suite une nouvelle gorgée ! Hervé, qui est en face de moi, a l'air aussi d'apprécier. Je suis rassuré : je pourrai encaisser mon chèque ;o)
Pour finir le repas, la Praluline offerte par Raymond. On en a mangé la moitié, se gardant le reste pour le petit déjeuner. Cette brioche aux pralines est à la hauteur de sa réputation : c'est vraiment délicieux, moelleux et croquant. On sent qu'il ne lésine pas sur le beurre, le sieur Pralus !
Là-dessus, nous partons nous coucher : demain matin, cours de cuisine.
Juste avant de prendre mon p'tit déj', je suis sorti pour prendre quelques photos
J'ai été intrigué par tous ces "trophées" accrochés aux murs (il y en a d'autres de chaque côté des fenêtres). Le nombre de prix gagnés par cette propriété est impressionnant. J'en parle à Evelyne en revenant dans la cuisine ; elle me montre l'un ces plaques de plus près (il y en a qui tombent régulièrement) :
Il y en même une pour la déco florale :
A peine la dernière bouchée de praluline avalée (snif!) avec un bol de thé, j'ai dit à Hervé :"bon, il faut le lancer, le bourguignon. Ca cuit pas en cinq minutes". Et me voilà à découper des morceaux de jumeau de boeuf à 9 h du mat'. Pas trop petits, pas trop gros. J'ai taillé des morceaux de poitrine pour en faire des lardons. Puis j'ai fait revenir ceux-ci dans une cocotte avec un oignon émincé, j'ai "singé" avec de la farine puis j'ai arrosé de vin rouge allongé d'eau. J'ai ajouté ail, laurier, thym, romarin... Et zou, au four à 120° pour quelques heures. Le tout a pris un petit quart d'heure.
Ca laisse du temps pour me brancher sur internet et de discuter de LPV avec Hervé. Et il y a de quoi dire...
Vers 11h00, je commence à me dire qu'il faut s'occuper du dessert. Qu'est-ce que je pourrais faire avec des pommes ? Pourquoi pas un crumble ? Et tant qu'à faire un crumble atypique. Avec de la farine torréfiée, par exemple. Bigre, de quoi il cause, Eric ? Z'allez voir, c'est simple.
Et voilà que je pose un papier sulfurisé sur une plaque de four. Etale de la farine dessus. Je sors la cocotte du bourguignon du four, monte le thermostat à 180° puis enfourne la plaque. Ca va être plus long que prévu, car le four n'est pas très violent. Pendant ce temps, on ouvre une vingtaine de noix pour récupérer les cerneaux et décortique un bol de noisettes.
Une fois que la farine a une couleur beige dorée, on la sort et on met les fruits secs pour 10 mn environ (vaut mieux surveiller). La chaleur permet de décoller facilement la peau des noisettes. Y a plus qu'à frotter.
Je rajoute à la farine encore chaude environ son poids en beurre et un peu moins en sucre. Et les f'ruits secs grillés que je hache. Et à ça fait un crumble à la saveur inégalée. Evelyne n'en revient pas !
Il faut s'occuper des pommes tout de même. On les coupe en 8 puis on les poêle 7-8 mn dans un mélange de beurre et de sucre. Et on réserve jusqu'à 5 mn avant de servir. Point.
Je retire les 3/4 du jus du bourguignon pour le réduire à la casserole. Et remets la cocotte au four en couvrant la viande avec un papier sulfurisé pour empêcher tout dessèchement.
Hervé a prévu du saumon et de la truite fumées pour l'entrée. Je propose de les passer au pinceau avec de l'huile au kumbawa dont je ne me sépare jamais.
Quelques minutes avant de passer à table, nous nous occupons des champignons de Paris, taillés très grossièrement, je les fais cuire quelques minutes à la poêle. Puis je les mets dans la cocotte avec le jus réduit du bourguignon. Voilà, on peut manger !
Comme la veille au soir, Hervé amène deux vins blancs.
Le premier mélange le bourgeon de cassis aux zestes d'agrume, avec une pointe de fruits exotiques. Direct Sauvignon de Loire, et du bon. La bouche est ronde, fraîche, avec une matière solide, mâchue, Un petit bonheur avec le poisson fumé. Et c'est ...
Ca ne m'étonne pas. Je deviens un fan de ce producteur :o)
A peine je sens le deuxième vin, je dis "ouch, y a de la pierre !". Et c'est vrai qu'il est sacrément minéral, avec ce côté "pierre chauffée". S'y rajoutent un côté coquille d'huître, mais aussi une touche de noisette. En bouche, c'est vif, tendu, avec l'impression d'avoir de la pierre liquide en bouche. C'est long et puissant, avec une finale saline. Je pars sur un Chablis, déjà un peu évolué. "Rhaaa, il est terrible" lâche Hervé en dévoilant l'étiquette.
J'ai pas vraiment de mérite : j'ai déjà bu ce cru chez ce producteur dans ce millésime il y 3-4 ans.En tout cas, j'aime beaucoup, et ne me lasse pas d'en boire (j'ai mon crachoir, ce midi, car je vais conduire ensuite).
Nous passons ensuite au bourguignon. Je ne vais pas dire qu'il est génial. Ni qu'il est nul. Il est bon. Et c'est déjà pas mal. En fait, il y avait deux viandes différentes au départ. L'une est devenu bien tendre. L'autre plutôt sèche. Et ça ne prévient pas quand vous tombez dessus...
Hervé me sert un premier vin rouge. La couleur est pourpre sombre, avec un nez sur les fruits noirs. La bouche est tout ce qu'il y a de solide. Du coup, je pars sur un Madiran, LE prototype des vins solides. En fait, c'est un cousin du tannat, le malbec, puisque c'est du Cahors :
Je ne connaissais pas ce domaine. Ce qui est sûr c'est que c'est encore d'une jeunesse incroyable. Du coup, le plaisir est un peu limité avec cette matière brute dont on ne sait quoi faire ou penser. De celui-là, je ne m'en ressers pas trois verres.
Un deuxième vin prend la relève. La couleur est plus évoluée, et translucide de surcroît. Le nez est sur des notes évoluées: cuir, sous bois, cigare, avec un fruit peu présent si ce n'est bien bien cuit. Dur à situer le cépage, si ce n'est le peu de concentration (pinot noir ?). En bouche, la matière est fine, légère, assez souple, avec des tannins s'asséchant en finale. Pas mauvais, mais pas exaltant non plus. C'est un bourgogne ?
Oh bon, c'est assez décevant. Il fait plutôt plus vieux que son âge et je m'attendais mieux que ça d'un Volnay. Si on est sympa, on va dire que le bouchon est un poil défecteux...
Il est temps que je réchauffe vite fait les pommes pour le dessert. Deux minutes suffisent. Puis je les sers dans les assiettes, les parsème de crumble. Et c'est tout (s'il y a de la crème fouettée, de la glace, ça peut être sympa mais bonjour les calories...).
Pour le bourguignon, j'étais tempéré, mais là j'adore ! Et je ne suis pas le seul ;o)
Je ne traîne pas trop longtemps après le repas. J'ai promis aux personnes chez qui je vais ce soir de leur préparer le repas. (c'est un peu spécial, comme vacances, mais j'adore !) Et j'ai plusieurs heures de route. Du coup, ça évite des adieux qui s'étirent en longueur, toujours douloureux. Hervé me donne deux bouteilles : une de Gérard Boulay (chic !) et une autre de Chinon dont il est curieux de connaître mon avis (il l'aura sous peu).
Pour cela et pour le reste ... je le remercie !
(et grosses bises à Evelyne)
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