En 1988, un réalisateur italien de films de série B, Ferdinando Baldi, part en Corée du Nord avec toute son équipe pour tourner ce qui est sans doute à ce jour l'unique fiction occidentale jamais filmée à Pyongyang.
Baptisé "Ten Zan, l'ultime mission", ce véritable trésor nanar nous conte une histoire confuse d'espionnage, d'enlèvements, de courses poursuites échevelées et d'expériences scientifiques sur des femmes. Si l'histoire n'est pas supposée se dérouler en Corée du Nord, on s'amuse vite à repérer les éléments du décor coréen derrière la fiction vaguement futuriste.
"Ten Zan" prend ainsi une saveur documentaire assez particulière, tout en nous invitant, comme dans les meilleurs James Bond, à de l'action et de l'exotisme sous les palmiers...
Comme le note Patrick Maurus dans la revue Tan'gun (Comment peut-on être coréen ? 2008),
On reconnait par exemple dans ces immenses décors désertés le métro de Pyongyang. Ce gigantisme donne au film toute sa poésie désuète et tout son intérêt. Car l'absence totale d'allusion au contexte coréen permet au fond à Ten Zan de poser la question essentielle : et si Pyongyang n'était que ca, un énorme décor de cinéma ?
Rien que pour vous (énorme merci à Julien et aux joyeux allumés de Nanarland), voici quelques passages de ce film mythique.
Extrait un - Notre courageux héros, prénommé Lou Mamet, débarque un beau matin en gare de Pyongyang. Mais les méchants décident de l'enlever au chariot élévateur...
Ferdinando Baldi, qui a pris ici le pseudo de Ted Kaplan, est un réalisateur italien né en 1927, auteur d'une trentaine de films. A l'occasion de la projection de "Ten Zan" au festival d'Udine en 2000, il est revenu lors d'un entretien avec Lorenzo Codelli sur le tournage de cet incroyable projet. (L'interview a été reproduite dans la revue Tan'gun, 2008)
lc : Comment est né Ten Zan ?
fb : Nous venions de terminer Un maledetto soldato (1987) aux Philippines, avec des fonds américains. Il faisait partie d'une série tournée pour le marché de la série B américaine, suite à War Bus qui avait très bien marché. Nos producteurs américains ont rencontré des responsables du cinéma nord-coréen au marché du film du festival de Cannes et ils avaient convenu de faire un film ensemble. Les Nord-Coréens cherchaient un projet. De notre côté, nous avions justement un film prêt à tourner soit aux Philippines, soit au Maroc. J'ai demandé si nous pouvions tourner sur place en Corée du Nord. Ayant réalisé des films à Singapour et en Inde, je me sentais prêt. C'est ainsi que nous avons rejoint Pyongyang depuis Pékin à bord d'un avion de l'Aéropostale !
Extrait deux - Notre héros, qui a été emmené de force au port de Nampo, parvient à s'échapper en bateau à l'aide de son compagnon. Une folle poursuite s'engage entre Nampo et Pyonyang, au milieu du trafic...
lc : Qui vous accompagnait ?
fb : Le directeur de la production Nino Milano. Nous avons demandé à des officiels de l'industrie cinématographique nord-coréenne - en anglais, via notre interprète - de nous prêter une voiture et un assistant pour les repérages. Nous avons attendu des jours et de jours et, finalement, on nous a trouvé un véhicule et un chauffeur avec qui nous avons pu visiter certaines parties de la ville. Ils n'avaient pas les moyens techniques de tourner un film de ce niveau (sic), mais tout le monde a toujours été très poli avec nous. Nous avions engagé un acteur américain de seconde zone, nommé Franck Zagarino, mais ils nous ont dit : "Quoi ! Un américain ! C'est absolument impossible !" Après des discussions à n'en plus finir, nous avons enfin pu le faire venir à Pyongyang. Le scénario prévoyait des scènes au bord de la mer et il nous a été très difficile d'obtenir la permission de nous rendre dans une ville de la côte. Puis, le voyage en bus a duré un jour et demi. Nous avions tout l'organisme cinématographique nord-coréen à notre entière disposition, mais nous avons tout de même dû enlever de nombreux passages du scénario.
Extrait trois - Lou Mamet décide de passer à l'hôtel Koryo chercher la sœur de son ami. Mais celle-ci est déjà partie prendre le métro...
La suite de l'interview, et du film, au prochain numéro !