Quand on fait des études d'art on vous apprend des tas de trucs, mais sûrement pas comment fonctionne le marché de l'art. Et pourtant s'il n'y avait pas le marché, les artistes ne pourraient pas survivre ou sinon il faudrait revenir au système de la Renaissance, quand les artistes étaient embauchés par les rois pour produire de l'art (qui défendaient naturellement leurs valeurs). Vous imaginez quelle horreur que l'art dans le royaume de Berlusconi !
Je ne suis pas une spécialiste dans ce domaine, subsiste en moi cette attitude plus ou moins gauchiste qui pense que l'art n'a rien à voir avec l'argent qui, finalement, le salit un peu. J'exagère, bien sûr, mais je crois que cette opinion est largement répandue parmi les artistes et les critiques d'art.
Le marché de l'art fonctionne à peu près comme tout marché. Il y a un producteur (l'artiste), des intermédiaires (galeristes, critiques, curateurs...) et des consommateurs (les collectionneurs). Mais les similitudes s'arrêtent là. Les consommateurs sont en réalité quelques milliers dans le monde entier, les prix des " produits " s'approchent de ceux des objets de luxe, et non de celui des biens de consommation courant. Le prix a une fonction très importante: il est de plus en plus montré (lors d'importantes ventes aux enchères) et apparait même dans la presse non spécialisée. Pourquoi? Parce que savoir que un Damien Hirst coûte 12 millions de dollars fait monter tout de suite les prix des autres œuvres signées Hirst, comme si c'était un label de qualité. Si le Hanging Heart de Jeff Koons a coûté au galeriste Larry Gagosian environ 24 millions de dollars (en 2007), un autre travail, par exemple le très célèbre Ballon Flower (1999), doit avoir une cote similaire.
Jeff Koons, Hanging Heart, acier inox chromé, 1994 - 2006
Qui fait monter ou descendre les prix ? La qualité de l'œuvre ? Le degré de célébrité de l'artiste ? Plusieurs facteurs sont à prendre en compte. D'abord son âge : un très jeune artiste qui sort des Beaux Arts a moins de chance de vendre ses oeuvres à des prix exhorbitants qu'un artiste confirmé qui a déjà exposé dans les galeries et les musées du monde entier. Mais il y a aussi des cas célèbres d'artistes très jeunes qui sont déjà les chouchous du marché. En Italie il y a(vait) par exemple Giuseppe Gabellone. Il arrive souvent que des jeunes artistes de 25-30 ans soient lancés pendent 5-7 ans puis laissés tomber. C'est difficile d'être un artiste qui tient la vedette !
Puis il y a les fameux intermediaires : avoir un galeriste qui cartonne, c'est une des garanties pour obtenir des prix élevés : le déjà nommé Larry Gagosian est un des galeristes les plus puissants du monde entier. Etre accepté dans son écurie est déjà synonyme de succès monétaire. Il n'est pas le seul. Pour se faire un nom : en France il y a Emmanuel Perrotin, en Italie Massimo De Carlo. Les galeristes choisissent aussi les acheteurs : ce facteur aidant à monter les prix. Si l'œuvre de l'artiste X est achetée par François Pinault (un des plus grands collectionneurs d'art contemporain) tout le monde commence à penser " c'est sur cet artiste qu'il faut miser ", si c'est moi qui l'achète, personne ne prendra un risque pareil. C'est aussi un label de reconnaissance, ou - disons - la garantie que cet artiste fera partie des plus grandes collections, par émulation. Et pourquoi devient-on collectionneur ? Sur ce point, il faudrait écrire un livre ! Disons que la moitié des collectionneurs ont un but économique : ils achètent et revendent l'art pour investir, comme s'il s'agissait d'actions boursières (bien que les investissements en art soient beaucoup plus risqués que les autres). L'autre moitié collectionne pour avoir une reconnaissance sociale, par passion, par plaisir ou pour faire du mécénat.
Encore un chouchou du marché: Maurizio Cattelan, Bididibodidiboo, 1996
Enfin viennent les critiques et les curateurs. Dans ce tas de gens, une dizaine a effectivement un pouvoir décisif. Etre invité par Nicolas Bourriaud à exposer au Palais de Tokyo (il en était le directeur jusqu'au 2006) attire l'attention du art system, les collectionneurs et les galeristes attentifs peuvent se dire " Cet artiste est intéressant ". Etre invité par Daniel Birnbaum ou Hans Ulrich Obrist à la Biennale de Venise ou à la Manifesta donne aussi beaucoup de visibilité. Cela ne fait pas forcement monter les prix, mais sûrement la " confiance " de l'art system. C'est comme si on était engagé par Steven Spielberg ou Tim Burton pour jouer dans un de leur film.
Tous ces mécanismes montrent que l'artiste est aujourd'hui consideré comme une star, quand il connaît, bien sûr, le succès.
Et le public dans tout ça ?
J'ai l'impression que le public ne compte pas beaucoup dans le système de l'art. Et vous, qu'en pensez-vous ?