Je viens de terminer un roman étonnant. L’auteur est un britannique d’origine nigériane. Ben Okri. Un nom que j’avais retenu dans un coin de la tête quand Calixte Beyala fut accusée par le critique littéraire Pierre Assouline d’avoir plagié entre autres ce romancier. Une vieille affaire me direz-vous ? Mais, voilà chaque fois que, passant dans les rayons d’une FNAC, mon regard tombait sur cet auteur, un brin de curiosité m’incitait à faire le pas vers, conditionné par cette vieille polémique…
Avant d’étonner les dieux, ce roman a le mérite d’étonner le lecteur que je suis. Un personnage sans nom se lance dans une quête hallucinante. Lui qui est né et qui a grandi dans un monde où il n’était pas visible, en dehors de son proche entourage, il se décide d’aller à la recherche d’un monde où il serait visible.
Incipit.
« Il vaut mieux être invisible. Il avait une vie meilleure quand il était invisible, mais à l’époque il ne le savait pas.Page 9, collection Points.
Il était né invisible. Sa mère l’était aussi, et, pour cela, elle pouvait le voir. Les siens menaient des vies agréables, ils travaillaient dans les fermes, sous le soleil familier. Leurs vies remontaient dans les siècles invisibles et les seules choses qui avaient survécu à ces époques aux couleurs différentes, c’étaient des légendes et de riches traditions, non écrites et, par conséquent, dont on se souvenait. On s’en souvenait parce qu’on les vivait. »
Bon sang ! Dans quel délire me suis-je vautré cette fois-ci ? C’est sans enthousiasme que je me suis mis à accompagner ce narrateur invisible dans ce qui va prendre l’allure d’un parcours initiatique.
« Ce fut dans les livres qu’il apprit d’abord quelque chose sur l’invisibilité. Il rechercha les siens et lui-même dans tous les livres d’histoire qu’il lut et découvrit, au plus grand étonnement de son jeune âge, qu’il n’existait pas. Il en fut tellement troublé qu’il décida, dès qu’il serait assez âgé, de quitter ce pays pour trouver les gens qui existaient et voir à quoi ils ressemblaient. »Pages 9-10, collection Points.
Une aventure improbable portée par une plume exquise, dans une succession de chapitres relativement courts. En effet, après avoir bourlingué pendant 7 ans sur les mers, notre homme débarque sur un port étrange. Apparemment désert. En fait, sur cette île, il ne peut voir ni entendre les habitants de ce lieu. Ces derniers également ne peuvent le voir. Par le biais de guides immatériels, notre personnage va devoir apprendre les codes et les valeurs de cet espace par des épreuves très spécifiques.
C’est un roman très métaphysique si vous me permettez d’user de ce qualificatif pompeux. Ben Okri nous fait pénétrer dans un univers complètement décalé qui ne manquera pas d’émerveiller celles et ceux qui y seront sensibles. Ca a été le cas pour moi. C’est à une réelle initiation à laquelle le lecteur à droit. Mais une initiation qui semble s’extraire d’un environnement culturel précis, ce qui offre à ce texte une ouverture très large. L’écriture est belle. Elle n’est pas chargée mais au contraire très fluide. Elle nous porte dans cet univers étrange fait de symboles, se charge d’une sensualité torride quand notre personnage rencontre cette femme qui se fait voir à lui ou encore transcode en couleur et en musique la beauté du discours, des mots des sages gouvernants. En fait, je ne sais pas comment vous conter cette étrange quête. Ce texte continue simplement son cheminement dans ma tête avec ses multiples interprétations et sa spiritualité. Je vous encourage à le découvrir.
Bonne lecture,
Ben Okri, Etonner les dieux
Edition Christian Bourgois, 1ère parution 1997, 192 pages, Collection Points
Traduit de l’anglais par Jean Guiloineau
Titre original : Astonishing the Gods
Ben Okri, Crédit photo : TheManBookerPrizes