Etienne de Durand (dir) L’Alliance Atlantique 1949-2009 (Politique Etrangère, 4/2009)
La revue de l’IFRI produit un numéro spécial sur l’Otan, à l’occasion du soixantième anniversaire, mais aussi du retour de la France dans l’Otan. Coordonné par Etienne de Durand, il rassemble un certain nombre de contributions qui permettent d’avoir un tour d’horizon assez complet du sujet : l’initiative est à remarquer, puisqu’en général, les « spécial Otan » en France se contentent de quatre articles, dont deux sur l’inévitable « La France et l’Otan », seul sujet qui suscite l’intérêt des éditeurs, et qui du coup ennuie le lecteur.... Bref, on lit enfin autre chose, et en quantité : tant mieux.
Signalons d’emblée l’introduction générale de Dominique David : voici un homme qui n’est pas spécialiste de l’Otan et qui pourtant arrive à proposer des aperçus aigus et qui nourrissent la réflexion : de temps en temps, un bon généraliste est bien plus fructueux qu’un spécialiste...
L’article de Lord Robertson, ex SG de l’Alliance, est convenu et décevant. Celui qui suit de K-H Kamp est en revanche très bon : cela fait plusieurs articles de lui que je signale, car il fait un excellent travail au Collège de Défense de l’Otan à Rome. Sa perspective de l’historie de l’alliance est bien faite, et donnera d’utiles aperçus à celui qui ne connaît pas ces affaires. Il conclut par quatre questions clefs, qui dégagent bien les enjeux actuels, qu’il faudra couvrir lors du prochain concept : sens de l’article 5, ressources, légitimité de l‘usage de la force, rôle futur des forces nucléaires de l’alliance. On remarque qu’il n’est pas question d’approche globale, d’Afghanistan, de sécurité énergétique....
L’article de Z. Brzezinski est appelé à devenir une référence : il s’agit de la traduction d’un article paru dans Foreign Affairs en octobre 2009. Il propose de penser l’Otan comme le centre d’un réseau d’organisations de sécurité à l’échelle du monde, un « hub global ». A propos de l’article 5, il explique : « Même si la guerre en Europe est improbable, il faut se demander si un seul membre – ou deux, ou trois – d’une alliance vouée à la sécurité collective a un droit de veto sur une riposte conjointe. Peut-être faudrait-il réfléchir à une définition plus opératoire du « consensus », dès lors qu’il regroupe non l’unanimité, mais une écrasante majorité » (p. 774) : on voit là l’expérience des disputes sur l’Irak (ou la Géorgie), mais aussi l’envie envers l’UE et ses mécanismes de majorité qualifiée. Par ailleurs, l’homme du « grand échiquier » qui autrefois prônait une action très ambitieuse vers le heartland, propose cette fois un accord de coopération entre l’Otan et l’OSCE : comme si la Russie n’était plus le problème, et qu’il fallait trouver les moyens de circonvenir la Chine, vrai adversaire des Etats-Unis. Pour ZB, la Russie n’est plus l’ennemie de l’AA ! cela valait d’être noté.
M. Clarke, du Rusi, éclaircit le débat sur l’Otan globale, qui date d’il y a quatre ans au moment du sommet de Riga, mais qui semble ressurgir à la suite de l’article de Zbigniew Brzezinski. Il montre notamment les différences de vision des alliés européens, qui cachent « une dispute subliminale sur l’usage de la force dans le monde contemporain ». Il rappelle que l’Otan, ça marche, « en un temps où trop peu d’institutions internationales ont un fonctionnement satisfaisant » (p 787).
Sur la sécurité européenne, on retient l’article de Bogdan Klich (ministre polonais) et le toujours excellent Jolyon Howorth comparant Otan et PESD, et rappelant d’entrée de jeu une réalité trop souvent inaperçue : il faut comparer non l’alliance et l’UE, mais l’Otan et la PESD. Il souligne « les désaccords politiques entre Etats membres –et en particulier entre la Turquie et Chypre- ont pris en otage la relation PESD-Otan pendant des années (p. 818) : et, il faut bien en convenir, la relation UE-Turquie continue de prendre en otage la relation OTAN PESD. Il constate surtout ce que tous les spécialistes savent : l’Otan se disperse quand la PESD s’enrichit. Du coup, « l’Otan tente de redécouvrir sa véritable essence en Afghanistan » (p. 822). A propos de l’élargissement, « il est difficile de spécifier ce qu’il a apporté à l’Alliance » (p. 825). « Il est fort probable que le renforcement de la position française dans l’AA compliquera la recherche du consensus politique plus qu’elle ne la facilitera » (p. 826). La conclusion tombe : « en réalité, il est bien plus difficile d’atteindre un accord politique sur les initiatives de politique étrangère et de sécurité dans l’UE que dans l’Otan » (p. 827).
Deux articles sur la Russie : celui de S. Rogov et surtout de Th. Gomart qui explique « le manque de constance dans l’analyse du potentiel russe » (p. 852) « particulièrement sensible en Europe en raison de son désarroi identitaire face à un pays assumant une politique de puissance » : mais le désarroi ne fut-il pas autant perceptible en 2003, vis à vis de la politique américaine en Irak ? Surtout, « la Russie a trois clients principaux auxquels l’Alliance ne peut pas ne pas s’intéresser : l’Inde, la Chine et l’Iran » (p. 854), et « Moscou estime que son espace diplomatique se situe dans une alternance permanente d’inclusion et d’exclusion par rapport aux normes occidentales ».
La France et l’Otan voit deux articles de M. Vaïsse et JP Chevènement. De ce dernier, on retiendra l’idée que le retour de la France dans l’Otan est la voie d’un affaiblissement de la défense, non un renforcement : ce n’est pas faux.
Un dernier dossier sur la réforme de l’Otan, avec un article de I. Anthony (SIPRI) sur l’Otan et les armes nucléaires, un très intéressant article de DR Palmer (du Secrétariat International de l’Otan) sur la structure civile qui prône entre autres l’allègement des 350 comités et groupes de travail...
Au total, un bon ouvrage qui permet, sous un format de revue, d’avoir des éclairages pensées sur tel ou tel aspect de l’alliance aujourd’hui. Passionnant, en attendant LE livre qui donnera un tableau d’ensemble sur l’Otan contemporaine.
O. Kempf