Premier jour de travail chez SuperConseil (1)

Par Evainlondon

Après une nuit quelque peu agitée, me voici enfin devant l’immeuble de SuperConseil. Mon cœur bat la chamade. Je regarde ma montre : 8h40. C’est-à-dire pas moins de cinquante minutes d’avance sur l’heure à laquelle on m’a demandé de me présenter. Autour de moi, des voitures, du bruit, des gens qui passent à toute allure… et moi, plantée là, doublement paralysée : physiquement, par mes huit centimètres de talons (soit huit centimètres de plus que d’habitude) ; et mentalement, par les inquiétudes non dissipées de la veille.

Je me demande bien comment je vais pouvoir tuer le temps d’ici 9h30.

Trois minutes plus tard, je n’ai pas l’ombre d’une idée, mais c’est peut-être parce que mon cerveau est en passe de geler, rapport au vent glacial qui transperce mon léger manteau. A court d’inspiration, il ne me reste donc plus qu’à rentrer. Je surmonte sans trop de peine le premier obstacle d’une longue journée (« Attention, sol glissant » : avec mes escarpins, je me sens particulièrement concernée par cet avertissement) et me présente à la réceptionniste :

- Bonjour, c’est mon premier jour chez SuperConseil, pouvez-vous me laisser rentrer, s’il vous plaît ?

- Bienvenue, me répond-elle avec un sourire robotique et pas du tout spontané.

Et qui l’en blâmerait ? Il pleut, il vente, il fait froid, et en plus on est lundi matin, me dis-je alors qu’elle me regarde d’un air interrogateur :

- Mademoiselle ? La photo ?

Mes facultés de concentration ne sont à l’évidence plus ce qu’elles étaient. Quelle photo ?

- La photo pour votre badge, soupire-t-elle. Dans le petit bureau, là, à gauche. C’est ce monsieur qui va la prendre, ajoute-t-elle en désignant un gardien à l’air tout aussi amène et réveillé qu’elle.

Super. La photo qui va servir à toute la société pour m’identifier sur l’intranet, celle qui va aller sur mon CV de présentation au client, bref, LA photo va être prise par un inconnu mal réveillé. Quant à moi, sous le coup du trac du premier jour, d’une insomnie caractérisée et de ma mauvaise humeur habituelle, je sens que j’ai mis toutes les chances de mon côté pour être plus photogénique que jamais.

- Souriez ?! tonne le gardien, d’un air plus patibulaire que jamais.

Ben, je fais de mon mieux, mais le problème, c’est que plus je souris, moins on voit mes yeux, et plus j’ai l’air d’avoir 12 ans et demi les bras levés.

- Hum, ronchonne-t-il en regardant l’écran de l’appareil. Elle n’est pas géniale, mais ça fera l’affaire, marmonne-t-il dans un anglais fortement teinté d’accent dont je n’arrive bien sûr pas à identifier la provenance.

- On ne peut pas la refaire ?

Non, parce que j’ai encore trois quarts d’heure à tuer, moi.

- Ah, j’ai pas que ça à faire, mademoiselle ! Faudra vous en contenter !

Ceci est bien sûr une traduction pleine de mauvaise foi du beaucoup plus politiquement correct : « I’m a little busy right now, love ». Enfin, de ce que j’en comprends, parce qu’avec son accent, rien n’est moins sûr.

Je ne me laisse pas décourager, et considère que j’ai surmonté avec succès le deuxième obstacle de la journée. Et puisque j’ai du temps à perdre, autant me détendre un peu. Au bout de trente pages des Cerfs-volants de Kaboul (que je vous conseille vivement, et en VO si possible), il est enfin l’heure d’autoriser la réceptionniste à appeler ma nouvelle chef.

- Allô, Super Chef ? Eva in London vient d’arriver, soutient-elle avec naturel (ça, c’est une amie pour la vie)

Une jeune femme arrive devant moi quelques minutes plus tard :

- Bonjour, je suis SuperChef. Ravie de faire ta connaissance, Eva in London.

J’inspire un grand coup, réussis à me lever sans tomber, et marche avec elle vers mon nouveau bureau.