Voilà un polar historique dont j'ai raffolé pour son atmosphère, son contexte historique particulièrement bien romancé, par l'implantation de l'intrigue dans une de mes villes préférées avec Paris et New York: Berlin, et par la présence en filigrane tout au long de l'histoire, du cinéma. Un cocktail élégamment préparé par un auteur américain qui mérite d'être plus connu en France : Jonathan Rabb.
Alors voici quelques lignes pour vous faire partager ce moment réjouissant de lecture. "L'homme intérieur" se déroule à la fin des années 1920 à Berlin, moment d'instabilité politico-économique, sous La république de Weimar. Et pourtant artistiquement, la création bouillonne de mille et une propositions notamment à travers le cinéma expressionniste qui vit son âge d'or.
Berlin, ville-mère de toute cette effervescence, s'encanaille follement, assoiffée d'excès en tout genre. Mais alors que l'insouciance la gagne, l'extrême droite tisse ses premières ramifications. C'est dans cet inquiétant et troublant décor que Jonathan Rabb a choisi de planter son intrigue. Un des cadres de l'UFA, l'un des plus grands studios de cinéma européen est retrouvé assassiné. Est missionné pour résoudre cet enquête, un inspecteur prénommé Nikolai Hoffner. Celui-ci se retrouve confronté à bien plus qu'une simple enquête de routine, car au-delà du crime à résoudre, l'affaire s'avère complexe et sombre. Sa complicité de longue date avec le chef de la pègre berlinoise et l'éclairage judicieux du réalisateur du chef-d'oeuvre Metropolis, Lang, l'aideront à dénouer les ficelles de cet imbroglio complexe.
Mais de l'intrigue finalement, on n'en retient qu'un prétexte et on retient surtout le beau tableau décadent, noir du personnage central de cette histoire: Berlin; aspirée malgré elle par ce gouffre noir qui constitue les prémices du nazisme. Et pour qui aime Berlin ou qui veut la découvrir, ce voyage dans le temps à travers les quartiers de la ville, reste très contemporain et on ne peut s'empêcher de faire des parallèles avec le Berlin des années 80 à aujourd'hui. Alors que Jonathan Rabb décrit Prenzlauer Berg comme une zone de non-droit, insalubre où son personnage Hoffner est le seul flic à y vivre, on pense à l'émancipation de ce quartier, où vivent aujourd'hui, familles, artistes et bohèmes.
Des personnages, on retient notamment le réalisateur Lang qui devient par la magie de la fiction, un des personnages de l'intrigue.
Et bien sûr, Hoffner, l'inspecteur en charge de l'intrigue, qui a tout du personnage cabossé, torturé, bourru comme on aime en découvrir dans la littérature noire. Son incapacité à aimer et à vivre des relations "normales" avec ses proches: sa défunte épouse, la mystérieuse Leni ou encore ses deux garçons, signent un peu plus ce portrait. Au-delà de la grande Histoire, en parallèle de celle attachée à Berlin, Jonathan Rabb semble alors mettre en scène la course à contre courant d'un homme à bout de souffle.
Plus qu'un polar historique classique, "L'homme intérieur" est une sorte de fresque romanesque sur le Berlin des années 20 vu par un auteur américain. Pour finir, c'est peut-être le titre original qui résume le mieux ce livre: "Shadow and light": Berlin, entre ombre et lumière comme le cinéma de Lang ou comme la double facette de l'âme humaine... Voici donc quelques impressions enrichies, suite également à un échange de point de vue sur le livre avec un accolyte lecteur, fin connaisseur de littérature noire, Hervé de l'association 813.
Quoiqu'il en soit, Berlin est dans ce livre, la muse incontestée de Jonathan Rabb.