Pour ceux qui auraient manqué la première partie, c'est ici!
Pour les autres, où en étions-nous déjà? Ah oui...
C’est alors qu’Elle lâcha la bombe...
Enceinte ! Elle était enceinte ! Je savais très bien ce que cela voulait dire, je l’avais lu dans un de ses bouquins. J’ai la faculté de lire en même temps qu’eux, ce qui est très instructif pour un objet qui ne sort jamais. J’ai ainsi une vision plus nette du monde qui les entoure, de ce qu’ils font à l’extérieur. L’inconvénient c’est lorsqu’ils lisent ailleurs que sur moi. Je perds le fil de l’histoire ou bien pire, je ne connais jamais la fin, ce qui est particulièrement agaçant lorsqu’il s’agit d’un roman policier (mes préférés !), je ne sais jamais qui est l’assassin !
Elle était enceinte et ils avaient l’air heureux ! Et moi ? Allaient-ils me remplacer ? Je n’étais pas assez grand pour trois !
Dès lors, une terrible angoisse m’envahit. Je n’étais plus sûr de rien. J’essayais, en vain, d’en savoir plus sur mon sort, mais ils n’en parlaient jamais.
J’adoptai une nouvelle stratégie : Me faire aussi accueillant et chaleureux que possible. Ce ne fut pas une mince affaire : Elle grossissait à vue d’œil !
Quand elle arrivait dans la chambre, je ne voyais d’abord que cette énorme bosse, lourde et pesante, surplombant deux jambes épaissies par un excédent de poids. Je trouvais qu’Elle n’était pas belle et je redoublais d’animosité envers l’intrus.
Son visage, bouffi lui aussi, reflétait la fatigue et l’angoisse de voir ainsi son corps pris en otage. Lui, la trouvait magnifique, et le lui répétait aussi souvent qu’Elle doutait, c'est-à-dire, très souvent ! Il n’était qu’amour et tendresse, d’une prévenance dont il ne se serait pas cru capable et qui n’était pas feinte.
Nos nuits furent de plus en plus agitées. J’en avais mal aux ressorts tant son surpoids était considérable. J’étais aussi déformé qu’elle ! Retrouverai-je un jour mon aspect d’origine ?
Elle tournait, se retournait sans cesse. Il m’était de plus en plus difficile de m’accorder à son corps et de lui procurer le réconfort qu’elle cherchait.
Au matin, nous étions tous trois fourbus et de fort méchante humeur. Autant dire que je n’en menais pas large : D’ici à ce qu’ils m’accusent de leur inconfort, il n’y avait qu’un soupir. Et là, c’en était fait de moi !
Une nuit, l’inévitable se produisit. Alors que nous jouissions d’un repos trop rare, je fus réveillé par une sensation chaude et humide. J’étais outragé ! D’accord pour supporter le poids, les nuits entrecoupées, les ressorts déglingués, mais ça ! C’était trop dégradant, même pour un lit !
J’attendis avec impatience qu’ils me changent mais, au lieu de cela, ils sautèrent sur leurs pieds (Lui, tout du moins…) dans une sorte de panique et d’excitation mêlées et m’abandonnèrent en l’état.
Quelle humiliation ! J’étais seul, défait, mouillé… J’avais froid et je sentais mauvais. Personne pour s’occuper de moi. Je crois bien que jamais je n’ai autant éprouvé ma condition d’objet. J’avais mal et si j’avais su comment faire, j’aurais pleuré.
Je ne sais combien de temps cela dura. Longtemps, car j’étais sec et rêche.
Soudain, il se tint là, devant moi. De grandes cernes sous les yeux, les traits tirés, l’air hagard. Il émanait néanmoins de lui une félicité intense, une certitude aussi. On aurait dit qu’il détenait une vérité essentielle.
Il s’écroula sur moi, tout habillé et dormit d’un long sommeil profond. Cela dura une éternité et j’étais toujours dans un état déplorable ! C’est alors que je m’aperçus qu’Elle n’était pas là. J’avais compris depuis longtemps, mais je refusais de l’admettre : L’intrus avait forcé les portes et n’allait pas tarder à faire irruption. Il fallait que je me prépare à défendre mon territoire. Comment ? Aucune idée. J’étais bien conscient de mon impuissance mais le fait d’envisager toutes sortes de stratégies défensives m’aidaient à l’oublier.
Les jours qui suivirent son retour, il fut pris d’une frénésie de nettoyage très surprenante de sa part. Il me nettoya, me changea et me parfuma. Quel délice ! Je revivais, j’avais rajeuni de 10 ans. Je me sentais neuf, mes états d’âmes s’évanouirent et je profitais de ce retour à la vie. Ce sentiment de béatitude fut de courte durée…
Elle fit son apparition, s’allongea sur moi. Elle était plus légère, moins empotée dans son corps. Je la retrouvais. Il lui restait bien quelques lourdeurs déci delà, mais nous avions vécu bien pire ! Elle avait l’air fatigué aussi. J’en éprouvais, à ma grande honte, une joie mauvaise. Les lits dans lesquels elle avait séjourné n’étaient pas aussi confortables que moi…
Puis, je sentis un autre poids, plus subtil, d’une infinie douceur. Une drôle d’odeur aussi. Un mélange de lait et de vanille. Des mouvements imperceptibles qui dégageaient une chaleur bienveillante.
La Chose prit possession de moi. Je ne pus résister. J’avais besoin de la protéger, de l’envelopper dans mes draps, de la tenir au chaud. Tout de suite, je l’ai aimée.
Encore aujourd’hui, je reconnais son odeur avant même qu’elle n’entre dans la pièce. Celle des ses frères et sœurs aussi. Elle et Lui n’ont pas pu s’empêcher de remettre ça.
Toutefois, ces petites choses n’ont pas brisé notre harmonie, elles ont chacune leur lit et c’est très bien comme ça. Je supporte sans mot dire leurs attaques répétées, aime à être le support de leurs jeux, mais apprécie, à leur juste valeur les moments où elles vont torturer d’autres que moi.
Je sais que j’ai eu une vie bien remplie. Je m’attends prochainement à être remplacé. Ils en ont parlé. Dix ans, c’est beaucoup pour un lit. Encore une fois, l’angoisse m’étreint. Je ne veux pas les quitter, je veux encore partager leurs vies. Mais Elle a mal au dos et Lui a tellement grossi que j’en suis devenu trop étroit. Je vais finir à la décharge et je n’y peux rien. Malgré tout, j’enrage. J’aimerais leur dire que j’existe, que sans moi, leur vie aurait été différente, que j’ai tout supporté, par amour pour eux.
Je crie en silence : Gardez-moi, je vous en supplie !!
Et Elle a dit : « Nous pourrions l’installer dans la chambre d’amis ».