Etre français à l’étranger et, dans ce cas précis aux Etats-Unis, comporte un certain nombre d’avantages permettant des échanges rapides et culturels avec les autochtones : « Ah ! French kiss ! » « Brigitte Bardot, Bardot ! » « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? » « I love Paris » mais aussi quelques désavantages non négligeables quant la réputation d’hygiène corporelle et buccale des « French lovers » que nous sommes…
Me rendant d’un pas traînant chez Monsieur le dentiste américain, je fus accueillie par trois dentitions éclatantes de blancheur :
- Hiiiiiiii Sooooophie !! You’re french ? Fantaaaaastic !!! Let’s see your teeth… OH-MY-GOD!!!
Quoi? Quoi? QUOI???
Trois paires de sourcils froncés observaient mes molaires d’un air réprobateur et j’attendis, angoissée dans l’âme stoïque, l’annonce de quintuples caries sur chaque dent entendant déjà le doux bruit de la roulette…
- You need a deep deep deep cleaning, sure, you need it!! Ah vous les français, très beaux de l’extérieur, mais l’intérieur, hein, it sucks !
Paf ! Dans les dents !
- Un deep cleaning ! m’écriai-je, mais qu’est-ce donc que cela ???
- Rien de bien méchant, on soulève les gencives, on va gratter jusqu’à la racine de la dent, ça saigne beaucoup un peu, ça ne fait pas très mal et garanti sans procès ! Quatre séances d’une heure devraient suffire sous anesthésie locale.
- Quoi !!! Mais ça va pas non !!! Je vous interdis de me retrousser les babines à m’en déchausser les canines !!
- C’est ça où vous n’aurez plus de dents dans 2 ans… Tenez, regardez ce qui va vous tomber dessus, fit l’affreux dentiste en me mettant sous les yeux les photographies de bouches aussi ignobles qu’édentées.
La peur me saisit mais la réalité financière m’assomma :
- Et ça va coûter combien cette petite blague ??
- Dans les $2 000, mais rassurez-vous, mon assistante vient d’appeler votre mutuelle, vous êtes couverte à 90% ! Allez, on y va !
A ce prix-là, me dis-je, autant m’offrir des dents en or !
Alors que, bouche grande ouverte, je bêlai d’indignation, il planta une monstrueuse aiguille dans ma gencive m’arrachant un beuglement d’animal à l’agonie, cherchant une échappatoire à cette ignominie mais fermement maintenue par deux sadiques ultra-brite.
- Hmmm, douillette avec ça ! Bien, nous allons doubler la dose d’anesthésie, il ne manquerait plus que vous souffriez ! On n’est pas des bourreaux tout de même !
Comment dit-on « mentir comme un arracheur de dents » en anglais ???
Mes dents se mirent à claquer de façon incontrôlable sans pour autant me donner la satisfaction de déchiqueter un des doigts de mon tortionnaire !
Au terme d’une heure et trente minutes de décapage, décrassage, lessivage, récurage et astiquage en tous genres (accompagnés d’offensantes remarques sur mes précédents soins gaulois), Frankenstein, satisfait de son œuvre me présenta un miroir :
- Regardez, vous voyez la différence ? Isn’t it soooooooooo niiiiiiiiiiiiice ????
A vrai dire, à part les gencives du fond explosées, la lèvre supérieure pendante et les mâchoires bloquées, je ne vis pas grand-chose et tentai de lui expliquer que les trois prochains rendez-vous seraient sans doute superflus :
- Chfoi ien, chpoi pa kch poufai fnir…
- Parfait, répondit-il enthousiaste. On se voit la semaine prochaine, même heure. Pour les frais, ne vous inquiétez pas, mon assistante a facturé les prochaines séances, comme ça, vous serez remboursée plus vite. See ya !
Sans mentir, j’aurais préféré accoucher 25 fois sous triple péridurale plutôt que de subir ces trois charcutages supplémentaires, mais bon, si je voulais rentrer dans mes frais, hein…
Toutefois, pour éviter toute récidive, j’appris à me décaper les dents, les gencives, la langue et la glotte sans oublier l’utilisation frénétique du fil dentaire, fière de montrer à Mr Gremlin l’intérêt de l’engin :
- Oh regarde ce que je viens d’enlever ! Non mais regarde ! Soooooooo cool !
Et refusais dorénavant tout rapprochement buccal qui ne fut désinfecté, aseptisé et dûment astiqué ! Otherwise, sooooooooooo disgusting !
De retour en Gaule, j’allai chez le dentiste, m’installai sur le siège, redoutant quelque peu un détartrage jusqu’aux sinus.
- Ouvrez la bouche…Fermez la bouche. Voilà.
- Voilà quoi ?
- Ben, vous vouliez un détartrage non ?
- Ben oui.
- Ben c’est fait.
- Ben d’accord alors…
Sooooooooooooo disapointed !
Avis aux lecteurs :
Outre le fait de montrer mon parfait bilinguisme, les petites touches d’anglais font partie d’une stratégie hautement réfléchie pour attaquer le marché anglophone…