C'est à New-York que j'ai découvert pour la première fois la boutique/librairie/galerie/magazine Giant Robot. Depuis ce temps, je fais toujours l'arrêt "GR" lorsque je passe dans le coin. Il y en a un à San Francisco aussi, donc je m'y suis arrêtée comme d'habitude pour acheter quelques T-Shirts. Cet endroit est vraiment extraordinaire tant dans son concept que dans son contenu. Le but est de valoriser la culture asiatique-américaine. Cette "culture" n'a rien à voir avec les quartiers chinois de ces deux villes. J'aime bien les odeurs de poisson des quartiers chinois, mais ils ne rendent pas compte de cette jeune effervescence intellectuelle comprise dans cette culture. Au contraire, ils perpétuent une idée stéréotypée, à tout le moins pas complètement fausse, mais sortons-en!
Giant Robot et l'histoire de l'art
Cela fait plusieurs fois que je consulte les livres que GR distribuent ainsi que les oeuvres exposées. Je n'aime pas parler de temps en termes d'évolution, mais puisqu'on parle toujours d'"avancement des recherches" dans le milieu universitaire, vraiment, pour l'art et l'histoire de l'art, ils sont "en avance". Je dis ça parce que plusieurs historiens apparaissent comme innovateurs, mais qu'ils n'ont jamais ouvert un livre d'histoire de l'art asiatique-américain contemporain. Certains sont des livres graphiques, contenant des dessins de l'auteur (et non seulement des artistes dont il est question), d'autres écrivent à la main sous forme de journal intime. La première fois que j'ai pris conscience de cela, toute une autre perspective s'est ouverte dans mon esprit. J'ai compris ce que voulait dire de ne pas faire la distinction entre théorie et pratique et entre les magazines, les oeuvres, les livres, les vêtements, les jouets pour enfant...etc. Bref, entre l'art et la vie. Ils ne la font pas la distinction.
En termes de références disons potentiellement académiques, la boutique comporte surtout des livres sur l'histoire (monographies surtout) du Lowbrow Art et du graffiti. À quand l'achat de ces livres pour nos bibliothèques universitaires? Enfin, lorsque j'ai voulu donner un cours sur le graffiti et parler du Lowbrow Art, je croyais qu'il n'y avait pas beaucoup de références, c'est complètement faux. Le graffiti est riche en histoire et ça, je le savais, mais je ne trouvais pas grand chose dans ma propre bibliothèque. Et le Lowbrow Art est en train de s'institutionaliser! (voir le dernier Symposium de Baie-Saint-Paul, par exemple). Pour moi, il n'y a pas un meilleur départ que le mur de Berlin pour parler de la Remix Culture et des arts hypermédiatiques.
Le dépassement vs l'écoute
Ah, je suis tellement tannée des vieux livres plates qui disent tous la même chose et de la même manière...C'est une histoire sans fin et surtout cyclique, en ajoutant quelques informations supplémentaires ou en déphasant les propos d'un autre auteur, tout ça pour "dépasser" l'autre. Il n'y a pas de "dépassement" en histoire de l'art. L'histoire de l'art n'est pas dans la faculté des sciences humaines à ce que je sache (à l'UQAM, mais à Boulder aussi!) comme l'histoire ou la sociologie peut l'être, elle est dans la Faculté des arts. Je dirais même qu'il n'y a pas de dépassement en général, considérant que les nouvelles théories scientifiques, de celles d'Einstein à la théorie des cordes, ne font qu'affirmer, d'une autre manière, ce que des peuples dits "primitifs" savent depuis toujours. Ils savent autrement, c'est tout. Ça c'est une autre histoire...
Rebondir sur l'idée de quelqu'un, remixer une théorie, c'est une chose, mais penser en termes de dépassement, c'est absurde. Dépasser veut aussi dire d'aller plus vite, mais comme je le mentionnais dans un précédent billet, "passer devant en allant plus vite" veut juste dire, aujourd'hui, faire du bruit. Cet acharnement est vain et transforme les gens et les centres de recherche en véritables vampires : "ils ont fait ça, il faut le faire mieux, ils ont lu ça, il faut en lire encore plus" et surtout prétendre qu'on ne s'inspire pas des autres. (ou en tous les cas, ne pas le rendre public). Je crois profondément qu'il faut simplement s'arrêter et écouter, là repose ce que les gens se plaisent à appeler l'innovation (pour moi, c'est plutôt la création). Je ne parle pas d'une écoute dans le but de dépasser, ce n'est pas une écoute, je parle d'une écoute qui apprécie ce qu'il y a déjà sans chercher la faille et les opportunités pour mieux dépasser. De cette manière, on risque moins de s'inscrire dans le mainstream et le dépassement...On risque plutôt de se retrouver "ailleurs". Cet ailleurs, c'est la créativité : beau risque!
Bien sûr, lorsque l'on fait un doctorat, il faut montrer notre apport théorique et j'aime cela. Mais il y a mille et une manières de le faire sans entrer dans l'urgence et la négation que comporte le "dépassement", ce qui évite aussi de devenir un vampire. Cela dit, j'adore les vampires, mais seulement dans les bons films d'horreur. Je ne suis pas certaine de vouloir que ma vie devienne l'un de ses films où la pire situation est de ne pas être le personnage principal. Le personnage principal est toujours le seul à survivre. Survivant, mais ô combien traumatisé (s'il n'est pas le vampire) et ô combien destructeur (s'il est le vampire).
La question est toujours de se demander pourquoi on fait les choses : améliorer l'état de santé de la population, mieux comprendre un phénomène social...hum, l'histoire de l'art, on la fait souvent pour nous, c'est bien ça l'origine du problème lorsqu'on rencontre la pensée du dépassement...
Savoir autrement
Enfin, le concept GR est en lui-même interdisciplinaire. Les ouvrages ne parlent pourtant pas d'interdisciplinarité en tant que tel et c'est peut-être pour ça qu'ils sont peu connus. C'est qu'ils n'ont pas besoin d'en parler de l'interdisciplinarité, ils la pratiquent à même la théorie! Voilà pourquoi il faut s'arrêter et "écouter" (j'aurais pu dire "voir" ou "lire", c'est que l'écoute m'apparaît plus sensible et plus gobale). Savoir autrement. Qui peut dépasser une telle écoute?