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Une semaine.
Une semaine qu'il est en congés.
Semaine extraordinaire.
Lundi, la grève des grands, mardi, celle des petits, mercredi, journée décalée, des qui vont à l'école le matin, un qui n'y va pas, l'autre qui roupille...
J'aime cette ambiance où la vie prend des tournants inattendus et envoie la routine aux oubliettes.
Comme avant-hier soir, au repas.
D'habitude sujet à disputes et règlements de comptes entre enfants et parents, ce soir-là a dérogé à la règle.
J'avais dans l'après-midi trouvé une mèche de cheveux dans la poubelle de la salle de bains.
Cette petite poubelle renferme toujours des trésors inavoués, victime de son succès, la salle de bains est dans le fond de la maison, mitoyenne de deux des 3 chambres des
enfants. Je m'amuse à y trouver des papiers déchirés, des jouets brisés, des chaussettes trouées, des bonbons, et donc, des cheveux.
Cette mèche a trahi son propriétaire, plutôt longue, plutôt blonde et plutôt fine.
Je l'ai récupérée en prenant soin de ne pas l'éparpiller et l'ai rangée dans mon tiroir du bureau, celui où personne n'ose s'aventurer, de méchantes factures en gardent
l'entrée.
J'étais décidée à souffler dans les bronches asthmatiques de l'apprenti coiffeur qui avait tenté de refaire son autoportrait à la paire de ciseaux scolaires et
j'attendais le repas pour énoncer ma sentence terrible.
Il n'en fût rien.
Mon trio a mis la table, pendant que je sortais du four un lapin plein de carottes et de patates, histoire de mettre tout le monde à l'aise et dans l'ambiance que je voulais donner au
moment, avec un plat que tout le monde déteste.
Copilote réglait les derniers détails techniques avec sa vessie aux toilettes, signifiant à toute la maisonnée qu'on allait pouvoir s'étriper sous peu.
"Y a quoi dans la cocotte?
-Ouvre, c'est une surprise.
-Oh ptain du lapin, des patates et des carottes, je déteste.
-Il reste pas des nouilles de hier?
-Si, mais ce sera pour demain, elles sont pas encore tout à fait moisies.
-Moi j'aime tout
-Toi, t'aimes surtout tout ce qu'on déteste.
-Bon appétit mes amis."
Finalement, tout le monde s'est servi, de gré et de force, et le silence révélateur de plaisir gustatif a fini de réduire à néant mes espérances de courroux maternel justifié.
"Alors finalement, c'est pas dégueu hein?
-Non, c'est même super bon, comment t'as fait?
-De l'huile, des carottes, de l'huile, du sel, du poivre, un lapin, de l'huile, du sel, du poivre, des patates, de l'huile, du sel, du poivre, un couvercle, un four.
-Des lasagnes!
-Voilà. Sinon, Jérémy, relève ta mèche, elle trempe dans ton assiette.
-Oui mais j'y suis pour rien, ils sont longs.
-Alors fais comme ton frère, coupe-toi les cheveux, mais fais-le bien.
-Quoi??? Mais je me suis pas coupé les cheveux moi!
-Toi non, c'est à Nicolas que je parle.
-Oui mais tu comprends, c'était pour virer cet épis.
-Mais t'es con toi, un épi, t'as qu'à le plaquer.
-Oui, au moins, demande conseil au plaquiste, avant de te rater.
-Mais je me suis pas raté, regarde derrière, y a pas de trou.
-Non, juste on voit que t'as coupé net, mais t'as raison, y a pas de trou.
-Oui, mais j'en ai marre aussi, j'ai les oreilles décollées, les dents en avant...
-Ne me dis pas que demain, tu vas me piquer du fil et une aiguille pour te les recoudre?
-Si tu veux, avec la perceuse à percussion, je te pose des bagues aux dents.
-Oh ça va j'ai compris.
-Tu sais, moi aussi quand j'étais petit, je me suis coupé la frange, mais je l'ai dit à maman.
-Oui, juste après que j'ai retrouvé les mèches dans le pot de la plante à l'entrée.
-Oui, mais j'avais 3 ans.
-Voilà où est le souci, j'en avais rigolé à l'époque, mais là, se couper les tifs à 11 ans, franchement, je rigole moyen.
-Tout ça pour dire qu'avant de faire vos conneries, vous pouvez nous en parler avant, on est les vrais spécialistes avec votre pauvre mère, on les a faites avant vous, on peut vous dire celles
qui font rigoler et celles qui sont vraiment pourries.
-Voilà.
-Alors on peut te dire par exemple que tu aurais pu nous dire avant que t'allais faire du lapin, pour qu'on te dise que c'était pas franchement marrant, même si c'était très bon?
-Oui, ou alors les yaourts de hier, tu aurais dû nous en parler.
-Bon, les dents, les mains et au lit."
Je me suis trouvée déstabilisée par la tournure qu'avait pris le repas.
Je n'avais rien maîtrisé.
Peut-être tout était là?
Toujours est-il que depuis, et j'espère que je ne sais pas jusqu'à quand, les journées se suivent et ne se ressemblent pas, et tant mieux.
Copilote est en congés, on se couche très tard tous les deux, on prend plaisir à défaire le quotidien, explorer nos vies, tranquillement.
Je le laisse dormir tant qu'il en a envie, j'aime le voir arriver hirsute, dans le salon.
"Mais tu m'as pas réveillé, t'as vu l'heure?
-Non j'ai pas vu l'heure, je t'ai vu dormir, ça m'a suffit.
-Tain, ça fait tout bizarre de pas voir s'allumer toutes les 5 minutes la lumière du couloir, de pas t'entendre venir mettre un peu le souk dans la chambre ou de me secouer tendrement qu'il est
déjà 5 minutes de plus que la dernière fois que tu m'as réveillé.
-Moi je trouve pas ça bizarre, je dirais même que ça me plait cette idée de te lâcher la grappe.
-Oué, lâche pas tout quand-même.
-Non, je peux encore et toujours te faire le café que tu aimes boire au réveil.
-Par exemple..."
Je l'en aime que d'avantage et il me le rend bien du coup.
Je laisse les enfants mettre doucement de la distance entre eux et moi.
Jérémy en est le premier touché.
"Maman, j'ai un truc à te dire.
-Je t'écoute.
-Tu sais, le contrôle de maths de lundi.
-Oui, celui où tu m'as dit que tu l'avais super réussi?
-Oui...
-T'as eu 10 c'est ça?
-Comment tu sais?
-Ton professeur a mis les notes ce soir sur le site, je viens tout juste d'aller voir.
-Tain, je suis dégouté maman, j'étais sûr de l'avoir réussi.
-Tu as la copie?
-Oui.
-Elle dit quoi l'appréciation?
-"Beaucoup d'étourderies", j'en ai marre, c'est toujours pareil maman.
-C'est rassurant. Tu n'es pas nul en maths, tu es étourdi, et les maths n'aiment que très peu l'étourderie, les maths sont un peu comme la routine, elle aime pas les écarts de conduite.
-Tu vas enchaîner sur le fait que je m'entraîne pas assez?
-Non, j'enchaine sur le fait que ton étourderie, je l'aime, pleure un bon coup, c'est vraiment pas grave, je me fais aucun souci et même si tu te tapais des 3 en maths toute ta vie, tu resterais
mon étourdi de fils aîné en pleine guerre hormonale avec des poils qui poussent."
J'ai embrassé ses larmes et demandé au creux de son oreille à ses hormones de lui lâcher la grappe quand je câline mon bébé de 14 ans révolus.
J'ai laissé Arnaud à nouveau investir le salon avec ses jouets et vider sa chambre, que les vases communiquent un peu plus que la normale fait finalement le plus grand bien.
"Maman, ne t'inquiète pas, je vais tout ranger.
-Je m'inquiète pas.
-Oui, mais tu fais que me regarder, ça veut dire que tu vas me demander d'aller faire mon bordel dans ma chambre, que toi, tu vas pas repasser les chemises de papa dans la mienne.
-Même si c'est vrai que je vais pas repasser dans ta chambre, je te regarde mettre ton bordel dans mon salon et j'aime bien ça.
-Ah bon?
-Oui, tu es grand, je sais que si tu prends le risque qu'on trébuche sur tes maisons en cubes, tu garderas ton sang-froid, ou si un jouet disparaît sous un meuble à cause des chats qui jouent
avec, tu trouveras ça très rigolo.
-Pourquoi tu m'engueules plus?
-Je sais pas et je veux pas savoir, ce qui compte, c'est que je t'engueule pas, je te regarde.
-Tu sais pas faire 2 choses à la fois maman?
-Si, mais aimer te regarder, ça me prend tellement la tête que y a pas la place pour faire autre chose."
Il faut dire que ses maisons, elles sont tellement bien construites, aussi.
A la radio, alors que je touille mon énième café de cette journée dont j'espère qu'elle s'achèvera quand elle seule l'aura décidé, Aerosmith conseille de marcher d'une certaine manière et Run DMC
d'une autre.
J'adopte la mienne, celle que pour une fois, je n'ai pas voulue.