Poezibao a reçu, n°120, dimanche 28 mars 2010

Par Florence Trocmé

Cette rubrique suit l'actualité éditoriale et présente les derniers ouvrages reçus par Poezibao. Il ne s'agit pas de fiches de lecture ou de notes critiques et les présentations font souvent appel aux informations fournies par les éditeurs.
°Lorand Gaspar, Derrière le dos de Dieu, Gallimard
°Christophe Lamiot Enos, 1985-1981, Flammarion
°Antoine Dufeu, Abonder, Nous
°Alexandre Romanès, Sur l'épaule de l'ange, Gallimard
°Mathieu Brosseau, Et même dans la disparition, Wigwam
°Jacques Brémond, Ce visage, Wigwam
°Jean-Claude Meffre, Tique, Propos 2 Éditions
°Etienne Orsini, Autant que ciel se peut, Le Nouvel Athanor
un essai
°Michel Surya, Excepté le possible, Fissile
des récits et textes en prose
°Pierre Silvain, Les couleurs d'un hiver, Verdier
°Chantal Chawaf, je suis née, Éditions des Femmes
°Alain Hobé, Lieu commun, Fissile
°Jacqueline Merville, Presque africaine, Éditions des Femmes
et aussi
° 30 ans, 30 auteurs, Centre National du Livre
° Cahier René Welter, Encres Vives
Notices détaillées de chacun de ces livres en cliquant sur " lire la suite de.... "

Lorand Gaspar
Derrière le dos de Dieu
Gallimard, 2010
14,90 €
" ″Derrière le dos de Dieu″ : nom donné à cette région de la Transylvanie orientale où se situent les rudes villages des hauts plateaux des Carpates dont mes grands-parents étaient originaires " (Lorand Gaspar)
Gisement de ténèbres et d'éclairs
d'immobilité et de mouvement.
Gisement d'air qui vibre et de langue
au fond du silence tenace
Ici un mot, là un geste, une absence
que nous montre, nous épelle l'érosion.

Christophe Lamiot Enos
Flammarion, 2010
25 €
" 1 985-1981 est sans doute à ce jour l'œuvre la plus ambitieuse et la plus aboutie de Christophe Lamiot Enos. Ce pourquoi il a paru nécessaire d'en réunir les deux pans en un seul volume, malgré l'ampleur du projet : on en percevra mieux la logique interne et les multiples inflexions. Le ″récit″ couvre le second semestre de l'année 1985, marquant l'arrivée et l'installation de l'auteur sur la côte Est des États-Unis, à l'Université de Cornell. Mais comme toujours chez lui, bien qu'il respecte le fil de la chronologie, il s'agit de rendre compte de l'existence quotidienne - dans sa banalité et ses saveurs, à travers une accumulation de notations infimes : gestes, décors, situations, regards et paroles échangés étant ici restitués avec une netteté et une précision exemplaire. La beauté et le caractère souvent poignant de ces instants de vie recomposés tiennent bien sûr à la grand exigence formelle ave laquelle Christophe Lamiot Enos les met en scène, élaborant toute une série de variations, au sens musical du terme, des suites minuscules (où l'anglais dialogue parfois avec le français) qui finissent par donner à ces instantanés filtrés par un lent travail de mémoire l'allure d'une chronique éblouie : une épopée de l'infime, à la louange de la vie matérielle. " (Dos du livre)
Antoine Dufeu
Éditions Nous, 2010
24 €
Composé de trois tableaux, Abonder est un poème narratif autour d'un personnage, Arthur Gonzalès-Ojjeh. Celui-ci démissionne de son poste de financier à la fin du premier tableau, avant de se lancer dans plusieurs aventures politico-économiques. Dans le dernier tableau, il aperçoit, dans une sorte de songe, le monde sous un nouvel angle. [...] Ce récit en vers est marqué par les thématiques de la politique, de l'économie, de l'argent. Il tente d'envisager entre celles-ci des rapports nouveaux, en insistant sur l'impératif de réappropriation subjective et collective du monde.
Antoine Dufeu est né en 1974 à Laval. Il a cofondé les éditions ikko et la revue MIR.
Alexandre Romanès
Sur l'épaule de l'ange
Préface de Christian Bobin
Gallimard, 2010
10 €
Depuis longtemps les tziganes savaient le vieux proverbe ″pour vivre heureux, vivons cachés ". Par crainte des conventions et des pouvoirs, les tziganes n'ont jamais permis aux autochtones de s'approcher de leur campement. [...] La culture tzigane est orale. On pourrait dire que c'est une littérature de ″survie″. Les spécialistes nous disent - et pour une fois ils pourraient bien avoir raison que les cultures minoritaires vont disparaître une à une. J'ai la faiblesse de penser que les livres que j'ai écrits n'iront pas se noyer dans l'océan des livres. Ils pourraient avoir un intérêt qui va bien au-delà d'un chant -qui je l'espère- est poétique. Ils devraient continuer à vivre, ne serait-ce que pour témoigner d'un peuple qui tôt ou tard disparaîtra (Alexandre Romanès, prière d'insérer)
Et même dans la disparition
Wigwam, 2010
5 €
" Puisque toute chose est aussi son inverse et que les visages en carton plat, ça n'existe pas. Puisque la lumière est la présence pérenne et que, le sachant, nous pouvons tirer la langue à la vie. Puisque de la langue, nous ne tirons que les briques de l'édifice que nous ne cessons de construire. Puisque la langue nous nargue, puisqu'elle le fait et que nous savons qu'elle s'arrête à la lumière, qu'il n'y a pas lieu pour elle d'être dense. Ce sera bien là sa peau, ce sera bien là sa veine. "
Jacques Brémond
Wigwam, 2010
5 €
" il reste la main seulement. lien trop faible. trop terrifiant. entre les deux mondes. le sien. le nôtre
l'attente obscène. l'attente de l'arrêt de cette main
ce cri de silence sur les draps
"
Joël-Claude Meffre
Propos 2 éditions
9 €
" Rien ne bouge ni ne se tient sur ses gardes. Rien ne se méfie de rien. Pourtant, il y a un léger tremblement du sol. Le vent du nord souffle dans les pins, par habitude. Parfois je me dis que le monde s'est peut-être bien arrêté, non de tourner, mais de chuter. Qu'il y a un suspens qui n'est qu'une illusion au milieu de la chute même. Les pierres du mur ne disent pas autre chose. Et le serpent se love dans son trou bien plus profondément que je ne le crois. Chutera-t-il, lui aussi, du haut du trône de son royaume souterrain ? " (Dos du livre)
Etienne Orsini
Autant que ciel se peut
Préface de Salah Stétié
Les Cahiers du Sens, Le Nouvel Athanor
15 €
" Voilà un livre d'amour. Un amour à la mesure d'un paysage d'été, d'une femme, d'une île.... et cette île est dite de Beauté : c'est la Corse... " (incipit de la préface de Salah Stétié).
Michel Surya
Excepté le possible
Jacques Dupin, Roger Laporte, Bernard Noël, Jean-Michel Reynard.
Coll. cendrier du voyage, éditions Fissile, 2010
12 € - l'auteur sur le site des éditions Fissile
″On devrait n'admirer que les écrivains qui rendent la littérature un peu plus impossible encore″

" Il aura fallu, pour que je revienne vers la poésie, que je le fasse par des œuvres qui, sensiblement, s'en exceptent. Qui, quoiqu'elles lui appartiennent - et elles lui appartiennent - la tiennent en suspicion. Une suspicion telle qu'elles-mêmes rechignent à s'en réclamer " (incipit du Préambule du livre)
Pierre Silvain
Les Couleurs de l'hiver
Verdier, 2010
14 €
Partir : une nécessité aussi irrépressible qu'irraisonnée jette le héros, un matin de novembre 1823, sur les chemins qui, d'une petite ville des bords de Loire, mènent à Paris.
Depuis l'enfance, Anselme sait que les couleurs occuperont sa vie - couleurs qu'il prépare depuis trop longtemps pour un peintre de Vierges candides et de roués clandestins dont l'art ne répond plus aux besoins du temps.
Il imagine, porté par les lettres de son ami Simon qui fréquente Géricault, tout un monde nouveau : pareil aux chevaux vifs et puissants si chers au maître ; bouleversant comme Le Radeau de la Méduse ; aussi troublant et provoquant que le portrait de la petite Louise - le réel pris dans l'éclat et la tourmente des corps.
Arrivé aux portes de la capitale, les craintes et les remords, qui n'ont cessé de sournoisement l'accompagner, s'effacent, sa décision est arrêtée. Mais l'inconnu qui l'attend au terme du voyage aura peut-être les couleurs de l'hiver.
Ce récit posthume de Pierre Silvain, par la tendresse pleine de réserve qu'il attache à ses personnages, par la saveur de son style, n'est pas sans rappeler le roman qui l'a fait connaître, " En 1974 paraissait un ouvrage d'une densité poétique peu commune (...) où s'inventait un langage pour dire à la fois la mort et la naissance, l'absence et la plénitude sensorielle. C'était dans Retable (Des femmes), déjà, l'évocation d'une naissance traumatique, celle d'une enfant arrachée au corps d'une mère mourante tandis qu'en contrepoint, dans La Rêverie, se déployait un cantique charnel. Un quart de siècle plus tard, Chantal Chawaf boucle magistralement la boucle ". Monique Petillon, Le Monde, 8 mai 1998.
Je suis née est le récit de cette naissance sous les bombes, où le don de vie à l'enfant et la mort de la mère se superposent. Cri de vie au milieu de la tragédie. L'enfant, devenue femme, cherche à percer le mystérieux miracle. Écriture de la naissance, naissance à l'écriture : c'est le sens lumineux de cette double expérience. 1ère édition : 1998, Flammarion, Paris, sous le titre Le manteau noir.
Chantal Chawaf est écrivain et éditrice. Je suis née est la réédition, enrichie et éclairée par des textes d'enfance inédits, de Le Manteau noir (Flammarion, 1998). Depuis Retable, la Rêverie, sa première publication aux éditions Des femmes (1974), Chantal Chawaf développe une œuvre originale et incandescente, d'une rare acuité sensorielle. Elle est l'auteure de plus d'une vingtaine de titres, romans, essais, nouvelles et poèmes, dont notamment Cercoeur (Mercure de France, 1975), Le soleil et la terre (J.J. Pauvert, 1978), Maternité (Stock, 1979), Crépusculaires (Ramsay, 1981), Les Obscures (Des femmes-Antoinette Fouque, 2008).
Lieu commun
Préface de Michel Surya
coll. cendrier du voyage, Fissile Éditions
15 €
" Entrer dans ce livre admirable ne demande pas qu'on imagine. Il ne décrit rien d'ailleurs que l'imagination puisse solliciter ni reconnaître. A moins qu'il ne décrive une perfection, qui eût la forme - infernale - d'un enfermement. (...) C'est de " séquestrés " qu'il est question dans Lieu commun. Mais il faut aussitôt le préciser : les séquestrés, les détenus d'aucun châtiment - des spectres. Chacun y est égal à ce qui lui échoit : la terreur, le froid, la solitude (...), sans que nul ne songe à protester ni à fuir. (...) Un espace clos. Celui d'un camp ? C'est ce qu'il semble. A moins qu'au-delà des murs et des fils, le " camp " ne soit le même. A moins que tout ne soit qu'un " camp ". A moins qu'on n'ait jamais été qu'enfermé. (Extraits de la préface de Michel Surya)
Jacqueline Merville
Presque africaine
Éditions des Femmes, 2010-03-28 10 €
" C'était en Afrique de l'ouest. La plaie dans ta bouche, au milieu du palais, cuisait, brûlait. Une plaie faite par le tortionnaire près de la lagune de Glidji. T'empêcher de parler. T'empêcher entièrement. Te tuer disait-il. Tu n'étais pas morte. Tu écrivais sur la feuille de papier quadrillé. Les traces sur ce cahier, du troué, sans forme, irrémédiablement enfoncé à coté de. Tu n'étais pas folle avec ton visage de folie dans cette chambre de Lomé. Tu écrivais de ton supplice en traversant les pages sans les recouvrir comme un insecte mourant, se débattant contre le mur. Moellons, parpaings de mots. Qu'est-ce qui s'écrivait aussi sur ce carnet te demandes-tu ? "
Jacqueline Merville est écrivain et peintre. Depuis ses premiers livres, elle a publié cinq récits aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque, des recueils de poésie, notamment à La Main courante, et dirige depuis 2002 une collection de livres d'artistes, " Le Vent Refuse ".
et aussi
Centre National du Livre
Pour fêter les 30 ans du Salon du Livre, trois fois 30 auteurs ont été invités à " raconter le monde " et à partager leur passion du verbe avec le public. Parmi eux, trente sont des auteurs que le Centre national du livre a soutenus à une ou plusieurs reprises au cours de leurs carrières. Emblématiques du soutien public à la création littéraire française, ils dessinent une politique des auteurs exigeante, éclectique et originale, que la présente publication invite à découvrir ( liste complète des auteurs ici - à noter particulièrement parmi ceux-ci les poètes Stéphane Bouquet, Olivier Cadiot, William Cliff, Antoine Emaz, Christian Prigent, Valérie Rouzeau, Jacques Roubaud, James Sacré, Franck Venaille)
Laurent Fels, Gaspard Hons, Marcel Migozzi
Cahier René Welter

La poésie de René Welter se caractérise par une forme dépouillée, verticale, où la condensation (Dichtung) est poussée à ses limites et se prolonge dans le non-dit. Son dialogue ininterrompu avec des écrivains-philosophes comme Paul Celan, Emmanuel Levinas, Paul Éluard, Guillevic, René Char, Philippe Jaccottet, Gaspard Hons, Marcel Migozzi, Albert Camus... et des artistes comme Roger Bertemes, Anselm Kiefer, Dacos, Serge Plagnol ou Jean-Pierre Junius, René Welter le pousuit discrètement. La main tendue. Toujours à l'écoute du silence, à la limite du mot.