Tout le long du Mékong , à Luang Prabang , qui fut il y a bien longtemps la capitale du Laos , il arrête les passants français. Car son bonheur est de parler français dans un pays qui ne le parle plus guère.
Si l’empreinte coloniale, est bien présente dans l’architecture ou à travers un certain métissage culinaire (les croissants au beurre ne sont jamais bien loin des nems et du délicieux laab ), la langue française s’est presque envolée. Verba volant….Chacun le sait. Reste l’écrit où déjà la syllabe finale s’est volatilisée…
Mais lui, Monsieur Leng, lui, parle français. Il a gardé les mots, les phrases, la musique et son plaisir est de les échanger avec les nouveaux visiteurs de son pays. Exit les colons. Bonjour les touristes. En 1953, il était caporal chef et travaillait dans les transmissions. Il énumère les grades de ses anciens chefs, le capitaine, le colonel…Lui, a grimpé les échelons. Il a formé les plus jeunes. Et puis, l’histoire prend un autre chemin. Les Français s’en vont. Le pays suit sa propre voie. Et les magnifiques temples demeurent, on l’espère, dans un paysage inscrit dans la fresque de l’éternité.
Monsieur Leng. Un homme frêle. Son visage est mince, à peine ridé pour ses 77 ans. Mi-joyeux, mi-triste. Il reprend sa bicyclette chinoise et s’en va livrer des glaçons aux petits restaurateurs des berges du Mékong. Les temps sont durs. Il y a les enfants et les petits-enfants dont l’un est malade. La pension française ne suffit pas. Alors, il va, le long du fleuve, sa boîte à glace arrimée au porte-bagage. Mais n’est-ce pas un prétexte? Un nouveau couple s’avance. Monsieur Leng jubile. L’homme et sa femme parlent français. Il les arrête. La conversation s’engage. La glace peut fondre dans sa boîte. Monsieur Leng a vingt ans. Il est caporal chef dans l’armée française. L’histoire n’est pas encore écrite et les rives du Mékong disparaissent sous la fumée blanche des brûlis environnants…
Photos: G. Serrière
La semaine prochaine: Taykeo, la conteuse aux fils d’or.