Sinon, colleur d'affiches dans le métro, ça me dirait bien aussi. Décoller la croûte d'anciennes pub au couteau à mastic. Encoller un papier plié, grand comme trois fois rien, déplier un morceau, encoller, déplier, encoller, replier, encoller encore... Une espèce d'origami à l'envers, qui s'étale au format 4 par 3. Ensuite monter sur l'escabeau, maroufler en dépliant sur le quart de l'emplacement publicitaire, en haut gauche. Recommencer avec un autre pliage préparé, en haut à droite, en bas à droite, en bas à gauche... En face, les mecs comme moi regardent le boulot se faire, les yeux dans le vague. L'image se forme et la nouvelle annonce se dévoile. Ça nous fait rêver 5 minutes. On voit des pieds, des quarts de voitures, des demi-cadeaux, un morceau de phrase, comme une énigme à déchiffrer avant que le métro arrive.
Pas de lézard à l'arrivée : j'aurais ma chambre d'hôtel où je filerais directement, car moi, je ne serais pas là pour visiter mais pour dormir. Je serais relayé par Max, Pedro ou Ahmed, mes collègues de la ligne. J'aurais eu de longues heures à moi tout seul, sur l'autoroute du Sud, à rêver sur le goudron sombre et fumant des soirées d'été, à penser à ma maison dans les Landes, à la dune de Pyla, aux vagues de Biscarosse, aux baisers que j'y ai pris, à ceux qui doivent m'y attendre... Peut-être même que si mes passagers dormaient profondément, je ferais un petit crochet discret vers l'Océan, en pleine nuit. Après avoir garé le bus dans le sable, j'irais me tremper les pieds dans l'eau, m'asseoir sur la plage déserte, sans autre bruit que le ressac, à attendre que le jour se lève. La brune viendrait me tirer de ma rêverie, s'agenouillant derrière moi et posant sa tête dans mon dos. La Grande Bleue au bout de ma route, de temps en temps. Je n'en demande pas plus.
Et pourquoi pas peintre de lignes blanches et de passages cloutés, rue de Rennes ? Pour tirer des traits délirants, empêcher ceci, autoriser cela, selon mon humeur, mon bon plaisir. Kiosquier place de Clichy ? Oui, aussi. Je pourrais lire tranquille TOUS les magazines en attendant le chaland. Et de temps en temps, je mangerais un Bounty du présentoir. Parce que c'est comme ça, j'aurais le droit. Ou bien vendeur de crêpes en tablier blanc, avec ma boutique ouverte sur la rue et mes pots de Nutella. Aux trois jeunes qui attendent leur commande dans le froid, je donnerais du bonheur, mais du simple, cuit sur la plaque chauffante et avec un peu de pâte à tartiner.
Je ne dis pas que ces métiers sont des accomplissements, non. Mais ça me fascine quand même. Au diable le sophistiqué, le complexe, les billards à dix bandes, les plans sur la comète... Une vitrine à faire briller, une affiche à poser, des bouteilles à livrer, une route à tailler... Rien que quelques heures. Pour voir comment ça fait. Pour voler un peu de la liberté que je sens dans ces personnages industrieux, quand je passe devant eux et que je cours ailleurs.