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Plaisir des métiers simples

Publié le 28 mars 2010 par Doespirito @Doespirito
Laveur-vitres Les laveurs de vitrines m'ont toujours fasciné. J'en vois souvent le matin tôt, avant que les magasins n'ouvrent leurs portes. Ils arrivent en scoot ou en Mobylette et sortent leur barda : une petite échelle avec des coussinets, une raclette, un seau avec de l'eau savonneuse.... Ils aspergent la vitrine à l'éponge, zap, zip, zap, trois coups de raclette, un coup de chiffon, un petit coup d'ongle pour gratter une tache récalcitrante, hop, fin du message. La glace étincelle. Dernier coup d'œil, ils rangent le matos et repartent vers d'autres clients. J'aimerais bien faire ce boulot, un jour. Juste pour voir mon reflet dans la vitrine, une fois le devoir accompli.
Sinon, colleur d'affiches dans le métro, ça me dirait bien aussi. Décoller la croûte d'anciennes pub au couteau à mastic. Encoller un papier plié, grand comme trois fois rien, déplier un morceau, encoller, déplier, encoller, replier, encoller encore... Une espèce d'origami à l'envers, qui s'étale au format 4 par 3. Ensuite monter sur l'escabeau, maroufler en dépliant sur le quart de l'emplacement publicitaire, en haut gauche. Recommencer avec un autre pliage préparé, en haut à droite, en bas à droite, en bas à gauche... En face, les mecs comme moi regardent le boulot se faire, les yeux dans le vague. L'image se forme et la nouvelle annonce se dévoile. Ça nous fait rêver 5 minutes. On voit des pieds, des quarts de voitures, des demi-cadeaux, un morceau de phrase, comme une énigme à déchiffrer avant que le métro arrive.
Colleurdaffiche C'est presque beau. Ça serait une œuvre, il pourrait même la signer, tiens, pour un peu, si ça ne finissait pas en pub pour Afflelou ou en annonce pour la dernière version d'un jeu vidéo où on décapite les mutants. Ensuite, l'artiste range son balai comme le cow-boy son flingue, dans un holster, plie ses gaules et s'en va coller ailleurs. Il monte dans le métro avec l'escabeau à l'épaule, les affiches et le seau sous le bras et il disparaît dans la nuit. Qu'est-ce que j'adorerais lui emprunter une fois son bleu, ses outils et son seau, et passer ma journée à coller des images de voyage, de champagne, de sable fin, de mer d'émeraude. Le nirvana au bout de l'escabeau, du seau et du pass Navigo, voilà ce que je voudrais.
Buseurolines Ou alors j'aimerais bien être conducteur de bus longue distance. Ça, ça serait top. J'aurais un costume confortable, une chemise blanche, une cravate rouge, des chaussures cirées à boucles. Je partirais du terminal Eurolines à Porte de Bagnolet. Direction Zurich, Barcelone, Porto, Venise, Tanger, Zagreb... En voiture, Simone. Il me faudrait des lunettes de soleil, pour me protéger les yeux et regarder dans les rétros le trafic et la jolie brune assise derrière moi. Imperturbable face à la circulation sur le périf, aux bonnes blagues des passagers, aux rires, aux exclamations... De temps en temps, la brunette laisserait son sac à dos et viendrait devant me faire la causette. Je la jouerais cool et pro à la fois, à raconter des souvenirs de trajet, à lui donner des bons plans quand on arrive à Naples ou à Sofia. Je mettrais une musique douce le soir, quand mes passagers commenceraient à s'endormir. Et de la musique du pays où on est arrivé, quand ils se réveilleraient le matin, et que je verrais leurs visages chiffonnés émerger des fauteuils en position dodo.
Pas de lézard à l'arrivée : j'aurais ma chambre d'hôtel où je filerais directement, car moi, je ne serais pas là pour visiter mais pour dormir. Je serais relayé par Max, Pedro ou Ahmed, mes collègues de la ligne. J'aurais eu de longues heures à moi tout seul, sur l'autoroute du Sud, à rêver sur le goudron sombre et fumant des soirées d'été, à penser à ma maison dans les Landes, à la dune de Pyla, aux vagues de Biscarosse, aux baisers que j'y ai pris, à ceux qui doivent m'y attendre... Peut-être même que si mes passagers dormaient profondément, je ferais un petit crochet discret vers l'Océan, en pleine nuit. Après avoir garé le bus dans le sable, j'irais me tremper les pieds dans l'eau, m'asseoir sur la plage déserte, sans autre bruit que le ressac, à attendre que le jour se lève. La brune viendrait me tirer de ma rêverie, s'agenouillant derrière moi et posant sa tête dans mon dos. La Grande Bleue au bout de ma route, de temps en temps. Je n'en demande pas plus. 
Camion-collector-bieres Je me verrais bien aussi livreur pour cafés et restaurant, à débarder les caisses d'Orangina et faire rouler les fûts de bière pression sur le trottoir, avec mon tablier vert et mon camion rouge rutilant, arrêté n'importe où. Je rassurerais les limonadiers qui m'attendent avec impatience avec mon allure professionnelle et mes caisses en plastique qui font tinter les verres. Je gagnerais le respect des flics en patrouille avec ma sueur dépensée au service de la bataille contre la soif. Du coup, ils en remballeraient leur carnet à souches et se mettraient au garde-à-vous devant moi. Sinon, quoi encore... Jardinier plantant les crocus, tiens. Rien que pour l'odeur de l'humus qui vous remonte dans les narines.
Et pourquoi pas peintre de lignes blanches et de passages cloutés, rue de Rennes ? Pour tirer des traits délirants, empêcher ceci, autoriser cela, selon mon humeur, mon bon plaisir. Kiosquier place de Clichy ? Oui, aussi. Je pourrais lire tranquille TOUS les magazines en attendant le chaland. Et de temps en temps, je mangerais un Bounty du présentoir. Parce que c'est comme ça, j'aurais le droit. Ou bien vendeur de crêpes en tablier blanc, avec ma boutique ouverte sur la rue et mes pots de Nutella. Aux trois jeunes qui attendent leur commande dans le froid, je donnerais du bonheur, mais du simple, cuit sur la plaque chauffante et avec un peu de pâte à tartiner.
Je ne dis pas que ces métiers sont des accomplissements, non. Mais ça me fascine quand même. Au diable le sophistiqué, le complexe, les billards à dix bandes, les plans sur la comète... Une vitrine à faire briller, une affiche à poser, des bouteilles à livrer, une route à tailler... Rien que quelques heures. Pour voir comment ça fait. Pour voler un peu de la liberté que je sens dans ces personnages industrieux, quand je passe devant eux et que je cours ailleurs.

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