Il faut se perdre au fond du Louvre, il faut se frayer un chemin au milieu de la foule, s’enfoncer dans les culs de basse-fosse et les douves de l’ancien palais et enfin parvenir à ce bunker réservé aux expositions d’art contemporain, où l’on voyait récemment Sarkis.
Christian Milovanoff y expose jusqu’au 21 Janvier une douzaine de photos d’antiquités orientales, principalement mésopotamiennes. L’exposition s’appelle banalement Suites (comme pour Rencontre, le Louvre n’est guère inspiré en matière de “titrage”). Des noms magiques s’entrechoquent, Goudéa, Sargon, Khorsabad (d’où provient cette main de guerrier assyrien), des génies ailés défilent, et des archers immortels. L’albâtre gypseux rougeâtre voisine avec la resplendissante brique colorée. C’est un art de puissance et de majesté.
Mais ce ne sont pas de simples reproductions. Milovanoff a le talent de saisir un détail, une forme, de sorte que ses photos ne sont pas seulement un témoignage, une reproduction mécanique, mais elles ont aussi un supplément d’âme, elles donnent une émotion supplémentaire. Plutôt que de discourir ici sur la reproductibilité et l’aura, je vous invite à lire l’élégant développement de Michel Poivert sur le sujet. “L’art se reconnaît-il dans les images qui sont produites de lui ?”
Si vous regardez attentivement ces pieds, vous y verrez une inscription : plusieurs siècles après la mort de l’empereur mésopotamien en question (un certain Naram-Sîn), cette statue fut razziée (avec bien d’autres) par un roi de Suse (en Perse). Banal, direz-vous, François 1er et Napoléon ont fait pire. Mais ce n’est pas une oeuvre d’art -ou pas seulement une oeuvre d’art- qui a été alors volée, c’est un symbole de pouvoir, un objet magique. Le roi de Suse, ramenant la statue chez lui, l’a mutilée et surtout y a inscrit son nom: castration symbolique, appropriation, cannibalisme nominatif, damnation mémorielle.
Et tant que vous êtes au Louvre, allez aussi voir le tableau surplombant et les deux sculptures de Kiefer. Là aussi, il est question de mémoire et de pouvoir.
Photos de l’auteur, copyright Christain Milovanoff.