Au jardin des merveilles des Lalanne …

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Les Arts Décoratifs proposent depuis le 18 mars 2010 une exposition de 150 pièces signées Claude ou François-Xavier Lalanne, couple d’artistes connu pour avoir fait de la nature et des animaux le support de leurs créations. Sculpteurs inclassables, ils exposent ensemble depuis 1964, avec l’idée commune de donner le plus possible une fonction à leurs sculptures. De ces œuvres souvent hybrides, naissent l’étonnement, l’amusement, une poésie empruntée de surréalisme guidée par le jeu de mots, des formes et des matières. Leur travail est montré sous des multiples aspects, de la sculpture monumentale aux objets du quotidien.
Dior s’est séparé, le temps de l’expo, du banc feuilles de ginkgo en bronze, que Claude a conçu en 2007 pour la boutique de l’avenue Montaigne. De magnifiques amaryllis rouge vermillon composent un splendide bouquet. L'artiste aime particulièrement le ginkgo qui est un arbre fossile, seul rescapé des bombardements atomiques de Nagasaki.
Le visiteur est ensuite saisi par deux sculptures encadrant l’escalier d’honneur de la nef du musée : sur la gauche un Homme à la tête de chou de François-Xavier, pour lequel Serge Gainsbourg eut un coup de foudre et qu’il acheta en 1968. Il lui inspirera 8 ans plus tard l’album du même nom. Sur la droite Caroline enceinte, qui est l’œuvre de Claude en hommage à la fille qu’ils ont eu en commun.
La scénographie imaginée par Peter Marino fait vivre l’univers si particulier des artistes en installant leurs œuvres dans une sorte de château imaginaire un peu magique, directement inspiré par l’exposition qui a eu lieu au château de Chenonceaux en 1991. Il faut dire que cet homme connait bien les artistes dont il est un grand collectionneur et qu’il a fait découvrir à des clients prestigieux. Il n’a pas hésité à végétaliser les espaces presque à l’excès. Levez la tête vers les corniches pour en juger : des pigeons y sont même postés en vigie.
A 85 ans aujourd’hui Claude n’a pas hésité à forger spécialement des grilles aussi légères que des brindilles pour marquer l’entrée dans un jardin à la française empreint de poésie et de surréalisme. De part et d’autre du bassin elle a prêté du mobilier de jardin où les visiteurs peuvent s’asseoir en appréciant leur confort après avoir été bluffés par leur beauté.
La cour du château a été investie par un troupeau de moutons. François-Xavier avait commencé la série en 1965, et ils étaient alors en ciment et en bronze patiné. Quelques-uns ont émigré à New York en novembre dernier. Les taxis jaunes circulant sur Park Avenue croyaient être victimes d’une hallucination. Ici, ils sont recouverts de véritable laine sur une structure de menuiserie traditionnelle. Le travail du sculpteur se limite donc cette fois à la tête et aux pattes, où il a dissimulé des roulettes pour les déplacer facilement. Ils interrogent les nouvelles manières de s’asseoir : soit adossé à leur tête, soit à califourchon.

François-Xavier a souvent travaillé les séries, avec d’infimes détails de différenciation. Le mouton marron foncé a des proportions différentes. Il me rappelle le mouton noir que la princesse Diana avait tricoté sur un pull parmi un troupeau de blancs.
A l’autre bout un couple de chameaux, qui sont de confortables banquettes recouvertes de laine de mouton.
Le grand bassin, rectiligne, accueille le jumeau de l’hippopotame acheté par la fille de Marcel Duchamp pour en faire sa salle de bains. La gueule s’ouvre sur un lavabo et l’arrière-train devient baignoire. Il rappelle l’hippopotame de terre cuite émaillée bleue qui se trouve aux Antiquités du Louvre où François-Xavier fut gardien. L’ibis est une autre référence au répertoire égyptien.
A l’instar des mots-valises, ces néologismes nés de la fusion entre deux termes (par exemple information et automatique pour informatique) les sculptures de François-Xavier sont des jeux de mots grandeur nature. Le fauteuil crapaud a nécessairement un dossier bas, des formes arrondies et des pieds invisibles. A première vue c’est là une grenouille …
A l’exception de l’hippopotame et du crapaud François-Xavier refuse les matériaux modernes et revendique le travail avec la matière qu’il aime transformer. Il avait épousé en premières noces une parente éloignée de Pompon qui l’a inspiré. Mais si l’animal sculpté par Pompon semble stoppé net dans son élan, on dirait chez Lalanne qu’il va se mettre en mouvement.
Un autre sculpteur a exercé une influence. C’est Brancusi qui fut son voisin d’atelier, à Montparnasse et qui le fit bifurquer vers la sculpture en 1952, délaissant la peinture qui était sa formation initiale. Il lui doit son goût pour les formes rondes et épurées de ses formes.
Quelques commandes publiques sont exposées, comme le canard aux nénuphars (en 1978 pour Sèvres) qui est un surtout destiné à décorer un centre de table. Très populaire de Louis XIV au second Empire, ce type d’objet a été ensuite remplacé par le serviteur, de taille plus modeste.
Quittant la cour du château, nous entrons dans le cellier, les salons puis la salle à manger. Claude a prêté plusieurs pièces de son mobilier personnel si bien qu’on a l’impression de nous trouver chez elle, dans sa propriété d’Ury, près de Fontainebleau. Ils avaient là chacun leur atelier parce qu’ils avaient tous les deux besoin de beaucoup de place pour travailler.
Ils s’étaient rencontrés en 1952 à un vernissage et ne sont plus quittés. Ils vivaient ensemble, mais travaillaient rarement sur les mêmes commandes, préférant faire « atelier séparé » car ils n’avaient pas les mêmes méthodes tout en s’accordant parfaitement. En regardant le singe sur la pomme on pense à une œuvre unique alors que c’est le scénographe qui les a rapprochés.
François-Xavier dessine quand Claude improvise. Il créé avant de chercher à vendre quand elle travaille sur commande. Il monumentalise quand elle sculpte grandeur nature, sur le sujet. Il stylise quand elle soude et agence des éléments en abondance. S'ils doivent travailler à une pièce unique ils procèdent séparément. Ainsi François-Xavier a-t-il fait le dessus de la petite table tandis que Claude préparaient les pieds de son côté.

Il pratique la métamorphose utilitaire (l’hippopotame salle de bains, le lit oiseau, les toilettes mouche …). La sienne est plus onirique (le chou pattes, le fenouil main, la pomme en morceaux intégrant une montre, les chaussons-pieds, cette pomme encore marquée par l’empreinte d’une bouche interrogeant sur la finalité : parle-t-elle ou est-elle croquée ?).
Les références de Claude sont des hommages à Dali, à Magritte, à Lewis Caroll, à Claude Gallée. On est tenté de lui attribuer la même devise que lui qui disait : mon atelier c’est mon jardin. Mais elle refuse toute parenté avec l’Art nouveau alors qu’elle démarre sa production artistique au moment même où l’on redécouvre le mouvement, dans les années soixante.
La sobriété d’une table ou d’un secrétaire de récupération tranche avec la richesse des matériaux, le raffinement des sculptures, leur humour aussi. Avec Claude on n’a plus peur des souris. On voit les choses autrement, comme ces bijoux-bouts de doigts.
Leur maison était constamment animée de cris d’enfants et Claude se laissait inspirer par eux. Elle a sculpté sa petite fille Olympe, fait un trône pour Pauline et les couverts sortis de son imagination ont séduit Dali.
En 1968 elle a moulé directement sur le corps des mannequins d’Yves Saint Laurent des ceintures, des bustiers … pour des robes visibles actuellement au Petit Palais. Elle a composé des miroirs immenses pour le salon de musique de l’appartement parisien qu’il habitait avec Pierre Bergé. Ils furent de grands collectionneurs des Lalanne et Claude a honoré de multiples commandes pendant une quinzaine d’années. Le bar de maillechort acquis en 1965 a été acheté 2 700 000 euros lors de la vente aux enchères qui a suivi le décès de YSL par Mme Fendi qui l’a prêté le temps de l’exposition.
On peut voir un autre bar célèbre, qui appartient au mobilier national. C’était Georges Pompidou qui en avait demandé la réalisation en collaboration avec la manufacture de Sèvres. L’œuf des autruches renferme la glace.
Dans le patio, le Minotaure trône en clin d'œil personnel à celui que Peter Marino possède dans le jardin de sa maison de Southampton. François-Xavier, obsédé par la volonté de faire « utile », a dissimulé un tiroir qui s’ouvre par un dispositif caché dans le nombril. La chouette est un prêt d’Agen, qui est sa ville natale.
Dans le bureau on remarque deux pièces de François-Xavier : une table de réunion ergonomiquement agençable devant un tapis de la Savonnerie. Le lustre conçu par Claude est identique à celui qui se trouve au Conseil d’État.
Nous traversons ensuite la ménagerie qui est la traduction des enclos zoologiques qui furent en vogue dans les riches propriétés.
Là encore des objets qui peuvent servir : un rhinocéros secrétaire dont les oreilles font tirelires, un babouin-cheminée, un autre coffre-fort, un oiseau-lit ... Les inventions sont diversement utilitaires.
J'avoue ne pas avoir été convaincue par la chatte-poisson-truie qui a servi de bar à Gilles Aillaud, ni par la sauterelle-bar qui fut offerte à la reine d’Angleterre, ou la boite à sardines-divan, ni même par l'âne-secrétaire (le secrétaire dos d’âne est aussi pourtant le nom d’un type de meuble). Je préfère l'oiseau-siège de marbre provenant du jardin d’Yves Saint Laurent
Et surtout cet oiseau à bascule qui ravirait n'importe quel enfant, pourvu que ses parents soient fortunés car il s'est vendu la coquette somme de 682 000 euros.
Tout cela se regarde, s’admire et fait rêver.
L'exposition les Lalanne est programmée jusqu'au 4 juillet
Les Arts Décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris www.lesartsdecoratifs.fr
Métro : Palais Royal, Tuileries ; Velib : 1015