The Nation : Est-ce que les quatre principaux dirigeants chemises rouges – vous-même, Natthawut Saikua, Veera Musikhapong et Weng Tojirakarn – représentent Thaksin Shinawatra dans les négociations avec le gouvernement ? Et que se passera-t-il s’il est en désaccord avec les négociations ?
Jatuporn Promphan : Nous avons une exigence claire : dissoudre le Parlement. M. Thaksin a indiqué clairement sur Twitter que les négociations sont notre affaire. Il n’est pas impliqué dans les pourparlers. Ce que Payap [le jeune frère de Thaksin Shinawatra] a proposé [une médiation entre le Premier ministre Abhisit Vejjajiva et Thaksin Shinwatra] n’était pas notre idée.
The Nation : Les protestations s’arrêteront-elles si le Parlement est dissous ?
Jatuporn Promphan : Nous voulons que la situation revienne à la normale, de sorte que les gens puissent aller n’importe où dans le pays pour faire campagne et pour proposer leurs politiques. J’ai toujours dit que les chemises rouges n’iraient jamais perturber les campagnes électorales, et quiconque le ferait ne serait pas issu de notre mouvement.
The Nation : Avez-vous une date limite pour obtenir la dissolution du Parlement ? Le gouvernement peut-il le dissoudre dans trois ou six mois seulement ?
Jatuporn Promphan : Non, si nous voulions que le Parlement soit dissous au cours des trois prochains mois seulement, nous ne manifesterions pas maintenant.
The Nation : On dirait que cette condition n’est pas négociable.
Jatuporn Promphan : En effet, et cela serait profitable à Abhisit Vejjajiva, parce qu’il ne peut pas diriger le pays dans cette situation. Nous sommes venus à son secours – pour unir le pays. Ramenons la Thaïlande à l’époque d’avant le coup d’état de 2006.
The Nation : Si les discussions n’ont pas lieu, les chemises rouges continueront-elles à manifester pacifiquement ?
Jatuporn Promphan : Nous avons appris une leçon des affrontements de Songkran l’an dernier. Cette fois, nous avons organisé une plus grande manifestation et nous saurons quoi faire si les autorités tentent de réprimer le mouvement par la force.
The Nation : Êtes-vous prêts pour une lutte prolongée ?
Jatuporn Promphan : Nous ne subissons aucune pression, mais je pense qu’Abhisit Vejjajiva en subit, parce qu’il est la marionnette de président du Conseil privé du roi, Prem Tinsulanonda, qui ne se soucie pas du sort du Premier ministre. Il manipule tout. Je ne suis pas sûr s’il y aura des changements majeurs avant Songkran, mais nous ne nous arrêterons pas. Le gouvernement imagine peut-être que nous nous essoufflons, mais ce n’est pas vrai. Cette manifestation est très différente de celle de l’an dernier. Cette fois, nous avons le soutien des habitants de Bangkok. Je n’ai jamais vu une telle ferveur à Bangkok comme samedi dernier (22 mars 2010). Cela allait bien au-delà ce que feu l’ancien Premier ministre Samak Sundaravej, l’ancien gouverneur de Bangkok Chamlong Srimuang, et même Thaksin Shinawatra lui-même, ont jamais pu susciter. L’énorme soutien des habitants de Bangkok samedi dernier était fantastique, et plus nous recevons de support à Bangkok, plus la pression monte sur Abhisit Vejjajiva. C’est comme un nœud coulant autour du cou du gouvernement – il ne sera pas supportable très longtemps encore.
The Nation : Est-il possible que la manifestation se prolonge sur une année ?
Jatuporn Promphan : Non, je ne pense pas que ça va durer aussi longtemps.
The Nation : Comment Thaksin bénéficiera d’une victoire des chemises rouges ?
Jatuporn Promphan : Et bien, il en bénéficiera au même titre que tout autre citoyen thaïlandais, c’est tout. Ce que nous allons obtenir sera la Justice dans le respect de la Loi. Que Thaksin Shinawatra récupère ou non son argent n’est pas la question. Nous sommes allés bien au-delà de cela. Il se rend compte qu’il est comme tout autre citoyen thaïlandas et que son statut, comme ancien Premier ministre, n’a rien à voir avec les chemises rouges. Je pense qu’il souhaite rester prudent quant à son rôle dans la protestation actuelle.
The Nation : S’il gagne les prochaines élections, le parti Pheu Thai demandera t-il une amnistie pour Thaksin Shinawatra ?
Jatuporn Promphan : Ce qui est arrivé dans le passé est injuste, et nous pensons que c’est un cas de double-standard. Nous voulons corriger cela, non pas spécifiquement pour Thaksin Shinawatra, mais pour l’ensemble des justiciables.
The Nation : Êtes-vous souvent en contact avec Thaksin Shinawatra ?
Jatuporn Promphan : Nous ne communiquons pas avec lui tous les jours. Nous comprenons que la démocratie et la protestation vont bien au-delà de son intérêt personnel. Il comprend notre lutte pour la démocratie, et c’est pourquoi nous avons commencé à manifester longtemps après que le verdict a été rendu pour son affaire. Nous ne souhaitions pas lier les deux et donner l’impression que nous voulions faire pression sur le tribunal.
The Nation : Thaksin Shinawatra est-il impliqué dans les prises de décision des dirigeants du mouvement des chemises rouges ?
Jatuporn Promphan : Il fait partie de l’Alliance Démocratique contre la Dictature (Democratic Alliance against Dictatorship), mais il comprend que nous avons connaissance de la situation réelle. S’il a des idées ou des suggestions, nous sommes prêts à en débattre démocratiquement.
The Nation : Certaines personnes disent que, vous, Jatuporn Promphan, êtes simplement le pion de Thaksin Shinawatra.
Jatuporn Promphan : Selon cette logique, quand je me suis battu contre un dictateur militaire en mai 1992, et que Chuan Leekpai en a bénéficié en devenant premier ministre, j’aurais été aussi le pion de ce dernier ? Les allégations de ce genre ne me font ni chaud ni froid, parce que je sais que je lutte pour la démocratie.
The Nation : Que répondez-vous à ceux qui prétendent que vous « combattez pour vous enrichir » ?
Jatuporn Promphan : J’ai presque 45 ans, je possède une maison en ville et ma voiture est une Toyota Fortuner. C’est tout ce que j’ai, rien de plus, et il me semble que ces biens sont conformes à mes revenus. Voulez-vous que je vive dans un temple ?
The Nation : Quelqu’un a dit que les dirigeants de la protestation devraient être prêts à sacrifier leur vie. Ne craignez-vous pas d’être assassiné ?
Jatuporn Promphan : Depuis que j’ai survécu à la répression sanglante des protestations de mai 1992, le reste de ma vie est une victoire. Je n’ai rien à craindre, mais je ne veux pas mourir non plus. Je reste prudent.