[Le groupe Karkwa. Photo Robert Skinner, La Presse]
Si tout va bien, dans quelques semaines, les gars de Karkwa seront en vacances... ce qu'ils n'ont pas fait depuis 2005. Mais cette fois c'est vrai : ils vont prendre une pause parce qu'ils sont un brin épuisés.
Épuisés mais heureux, les musiciens de Karkwa : dans les dernières semaines, ils ont joué à Vancouver, enregistré deux émissions Studio 12 (dont une consacrée à Alain Bashung), terminé la musique d'un documentaire sur le peintre Marc Séguin et, surtout, terminé leur nouvel album, leur quatrième en 10 ans d'existence : Les chemins de verre.
Un album dont les 12 chansons sont autant de planètes du même système solaire, intrinsèquement liées et profondément différentes, où il est question de coma fatal ou d'enfant, d'addiction et de légèreté. Douze chansons qui flirtent autant avec le soleil qu'avec les trous noirs, le folk «guitare autour du feu» ou des percussions dignes du Requiem de Berlioz!
Tout ça, c'est un peu beaucoup à cause de La Frette: des studios situés à 15 minutes de Paris, installés dans un manoir du XIXe siècle, où Karkwa a fait par intermittence des séjours de sept ou huit jours dans les douze derniers mois, avec un défi bien précis: créer une chanson par jour. Karkwa en a ainsi enregistré 20 en 21 jours.
«Je ne pensais jamais qu'un endroit pourrait devenir le sixième musicien ou en tout cas la muse d'un groupe, et c'est pourtant ce qui est arrivé, lance Louis-Jean Cormier à propos de La Frette. Il y a à peu près 27 chambres dans le manoir et on a dû enregistrer ou essayer quelque chose dans chacune.» «Y compris dans la cage d'escalier. Extraordinaire, cette cage d'escalier», ajoute Julien Sagot. «Et même dans la cour: c'est là que Julien a trouvé un vieux road case, qu'on utilise dans la chanson Marie tu pleures, précise Martin Lamontagne (le fameux coffre est même photographié dans le livret!).
Pas de travail à la chaîne
«Il fallait absolument qu'on change de méthode d'enregistrement, reprend François Lafontaine. D'habitude, pour nos trois autres disques, on jouait tous les cinq, en se creusant la tête parce qu'il nous fallait trouver quelque chose à faire sur chaque morceau. Cette fois, il y en avait un qui partait avec un air, un riff, des bribes, et les autres écoutaient, suggéraient - ou pas - un instrument, un rythme, on essayait des trucs, jusqu'à ce que la chanson existe...
- En fait, de cette façon, on avait du recul sur chaque morceau, reprend Stéphane Bergeron. On écoutait ce qui se jouait et, si l'un d'entre nous trouvait que des marimbas sonneraient bien sur tel morceau, eh bien, il allait en jouer lui-même. C'est pour ça d'ailleurs qu'on joue tous de plusieurs instruments sur l'album. La manière dont on fonctionnait avant, ça finissait par être du travail à la chaîne...»
Ah, ça, il n'y a manifestement pas de travail à la chaîne sur Les chemins de verre. Pour le morceau Les enfants de Beyrouth, par exemple, l'idée que Louis-Jean en fasse une version guitare et voix a été poussée jusqu'à ce que François trouve que ça serait bien, un piano préparé (dont on modifie le son en insérant des objets dans ses cordes). Ça tombait bien: «Il y avait justement un piano un peu faux, un peu négligé au dernier étage de La Frette!»
C'est ensuite que Julien a eu l'idée de suspendre un fil de micro dans la fameuse cage d'escalier, fil qui oscille au-dessus de la batterie de Stéphane Bergeron...
Il y a eu des moments mémorables à La Frette. Un soir, plein de Québécois - Lhasa de Sela, Patrick Watson, Fred Fortin, Ariane Moffatt, ont débarqué à La Frette. Grande fête. Une semaine, un des techniciens français, en principe en vacances, est revenu juste pour le plaisir de travailler avec Karkwa.
Ce retrait de la vie «normale» était indispensable pour pouvoir ainsi se lancer corps et âme dans de telles expériences: après tout, Louis-Jean est papa d'une petite fille de 3 ans et attend un deuxième bébé en avril, Julien a une fille de 1 an, François sera père pour la première fois en juin...
Réalisé par le groupe et Mathieu Parisien, l'album marque aussi le retour de Julien Sagot à titre d'auteur-compositeur, aux côtés de Louis-Jean Cormier et François Lafontaine. «Ça s'est trouvé comme ça», dit Julien avec un sourire un brin goguenard. «En tout cas, je pense que ça donne notre disque le plus léger et le plus profond en même temps», dit Stéphane. «On est justement en train de faire le vinyle du disque, et on voit qu'il y a une espèce de face A et de face B (la face B débutera par Dors dans mon sang)», ajoute Louis-Jean. «C'est quand même quelque chose, hein, faire un disque avec tes chums et aimer encore ça autant...» a conclu je ne sais plus lequel d'entre eux.
Article de Marie-Christine Blais, La Presse, Publié le 27 mars 2010