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De la bien-pensance

Publié le 27 mars 2010 par Desiderio

Nous avions déjà eu au début des années nonante la dénonciation d'un prétendu politiquement correct. Je dis prétendu, parce que les exemples sont souvent imaginaires ou ne reposent que sur des généralisations abusives. Etaient politiquement corrects tous ceux qui ne pensaient et ne parlaient pas comme les énonciateurs de cette formule codifiée comme un exorcisme au point de devenir un cliché.  

Puis est venue la mode d'insulter tous les contradicteurs en les traitant de bobos, alors même que c'est un concept publicitaire et commercial étatsunien à la base. Si quelqu'un défend les droits de l'homme ou des idées démocratiques, c'est forcément un mangeur de sushis qui roule en Vélib, qui possède le dernier iTruc de Apple et qui achète des produits bio dans le commerce équitable. C'est un peu comme si l'on faisait des métrosexuels les porteurs d'une idéologie particulière, même s'il ne sont que les vecteurs d'une forme de marquetingue.

Maintenant, dans le bruit général, il est devenu très à la mode de dénoncer la bien-pensance que l'on va écrire avec un trait d'union. Cela me semble bizarre. J'associais auparavant la bien pensance à des idées conservatrices (souvent catholiques, mais pas exclusivement), voire réactionnaires : c'est une expression que les milieux anarchistes et gauchistes employaient pour dénoncer les cagots, les bigots et les magots qui ont beaucoup d'oeillères. Ceux qui n'aiment pas les autres quels qu'ils soient : les homos, les étrangers, les jeunes, les pauvres, les vieux, les handicapés, les drogués, les fous. Mais pas du tout ! maintenant, la bien pensance, c'est le fait de dénoncer une injustice, une absurdité, une violence, un danger selon la novlangue des réacs.

Examinons un peu dans Google Actualités quels sont les sujets visés lorsque l'on emploie le nouveau poncif de bien pensance qui s'attaquerait à de véritables héros : Zemmour, Guillon, Frèche (hélas !), Gérard Longuet (ex d'Occident, mouvement ultra-violent), Robert Ménard qui défend la peine de mort, Eric Besson qui défend ses expulsions de familles disloquées, Dorothée et ses animes totalement stupides, Georges Soros et ses boursicotages invraisemblables, Thierry Ardisson et ses pugilats organisés puis remontés, Claude Allègre et ses bourdes statistiques titanesques. Ce sont tous des victimes de la vie, de pauvres êtres martyrisés par la bien pensance.

Je vous livre le plus croustillant dans un éditorial de la Tribune : "Attaqué de toutes parts par le déluge malsain de la bien-pensance". La bien pensance est malsaine, cela devient de plus en plus paradoxal. Dire que l'on est favorable au mal en général est devenu une sorte de norme dans les éditoriaux qui défendent la liberté d'expression pour soi et les siens, mais non pour les autres. Ce n'est pas anodin, il s'agit de la diffusion d'un élément de langage du Front haineux qui a su contaminer la presse généraliste ou les partis démocratiques ; les milieux nationalistes et réactionnaires ont réussi à retourner le sens d'une expression qui les stigmatisait, puis à faire en sorte qu'elle soit reprise en choeur par des personnes qui n'appartiennent pas à la réacosphère ou la fachosphère. Et je suis désolé de voir Jean-François Kahn se comporter en perroquet avec des mots hyperboliques (mais ce dernier point est une habitude chez lui). Il m'avait habitué à mieux en matière d'examen des mots.

Il n'y a pas de terrorisme de la bien-pensance, parce que l'on y trouve tout et son contraire. Il n'y a d'ailleurs pas de bien-pensance du tout. C'est un concept dans lequel on place ce que l'on veut selon son milieu, son éducation, son public, ses intentions. Les bien-pensants, ce sont toujours les autres que l'on veut dénoncer, mais cela n'a aucun sens en soi. Cela pourrait être le point de vue par exemple de Jean-François Kahn lui-même, et son parler-vrai se retournerait contre lui. Il est peu étonnant que la nouvelle stigmatisation de la bien-pensance soit née sur des sites anti-islamistes et d'abord anti-musulmans, xénophobes, voire vraiment racistes (je ne les mélange pas tous). Dénoncer la bien-pensance a été depuis deux ou trois ans l'oeuvre de réactionnaires qui ont un problème avec les populations venues d'ailleurs. C'est devenu ensuite un tic de langage à force d'employer le terme pour désigner une pensée que l'on estime ennemie. Le beau mot tolérance n'est jamais énoncé. Il faut aller à l'affrontement, au combat, à la guerre, en accumulant les clichés sur tous les autres qui ne sont pas comme nous. Et je dis : non. Parce que je suis bien et mal pensant. Contradictoire et demandant d'abord la contradiction.


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