Magazine Cinéma
The son-of-a-gun !
1919
G.M Anderson
Avec : G.M. Anderson, Joy Lewis
On l’a vu avec Naked Hands, ‘Broncho Billy’ Anderson avait tenté, après quelques années d’absence, un ambitieux retour aux écrans. Mais si Naked Hands avait pu laisser quelques doutes sur sa date de tournage, il apparaît clairement dès les premières images que The son-of-a-gun n’est en presque rien affilié aux Broncho Billy première période (pour autant que je puisse en juger correctement puisque je n’en ai vu que trois sur deux cents cinquante !) et qu’il appartient bien aux cinq (ou dix, rien n’est sûr) longs métrages tournés par G.M. Anderson pour sa compagnie indépendante Golden West Producing Company après qu’il ait revendu ses parts de la Essanay. Le budget est ambitieux, les figurants pullulent et les décors sont de vrais décors, avec de vrais saloons et non pas une ou deux bâtisses filmées de près pour faire office de vieil ouest. L’exposition prend son temps, les personnages sont développés, la mise en scène soignée et portée sur le détail. Le film, sans être même modérément intéressant pour ceux non portés sur la chose, est notable sur plusieurs points pour les craqués comme moi.
Tout d’abord sur son scénario ambitieux et simple à la fois. Anderson joue un cowboy flamboyant, violent et un peu fou répondant au surnom de Son-of-a-gun, qui est une expression anglo-américaine qui signifie peu ou prou « fils de pute ». Anderson nous la joue un peu à la William S. Hart, c’est à dire que son regard croise celui de la femme (Joy Lewis, aux cheveux très mal peignés, et ceci n’est pas un aparté sur les démodées coiffures féminines du muet, là elle est vraiment mal peignée) et qu’il en est bouleversé, mais Anderson en fait un catalyseur beaucoup moins grossier que dans les films de Hart. Son héros n’en ressort pas radicalement transformé, il n’embrasse pas soudain un nouveau sacerdoce les yeux emplis de pathos, non, il se fait simplement expulser et part continuer ses conneries ailleurs. Cet aspect comme dégradé de l’intrigue Hartienne par excellence, associé à l’extrême simplicité de l’histoire (pas de méchant très méchant, pas de complot, pas de jeune fille en danger) renforce le réalisme et la crédibilité du scénario et des personnages. Le rachat du personnage sera limité au sauvetage du frère de la fille, en train de se faire plumer au poker. G.M. Anderson récupère en réalité une intrigue de base qui aurait pu servir à un Broncho Billy de la grande époque, et l’étire sur cinq bobines, sans rajouter d’éléments dramatiques supplémentaires. Il en ressort presque l’impression de regarder un western d’auteur, où l’important ne serait pas l’action, mais le contexte. Ajoutons à cela que le héros meurt à la fin sans avoir du tout eu l’occasion de se taper the girl (faut dire qu’avec la nature de cheveux qu’elle a, bref…) et on convient alors aisément de l’étrangeté de la chose dans le contexte de l’époque.
Deuxième point notable, le jeu de G.M. Anderson. S’il est largement desservi par son double menton et son gros cul, l’acteur compense au centuple par son personnage de chien fou aux yeux déments, tirant à tout va dans les saloons, offrant un mélange de force brute et de générosité (il paye toujours la tournée générale), incapable de discuter autrement qu’en aboyant les flingues à la main. Quand il se fait expulser, il se marre, prend son temps, plie ses affaires avec manières, se moque ouvertement de l'autorité. Quand il rentre dans un dancing, il a les yeux fous d’un illuminé en état de transe. Quand il lui faut du feu, il balance une grande claque dans le dos d’un petit notable, ou alors craque son allumette sur le violon du dancing. Quand il meurt, il a encore le sourire aux lèvres, les yeux humides et prêche soudain la bonne parole. Anderson nous fait là un Broncho Billy dérangeant, incapable de vivre en société mais bon en dedans. Si les courts Broncho Billy avaient pu faire douter du réel talent d’acteur de cette première star du western, The son-of-a-gun dissipe les malentendus et démontre l’implication et l’honnêteté de G.M Anderson dans son travail. A voir donc, pour les craqués de G.M. Anderson, c’est à dire, à n’en pas douter, une proportion majuscule et sans cesse grossissante de la population francophone.
Où le voir : DVD Unknown video. Si vous voulez découvrir Broncho Billy Anderson, je vous conseille d’abord ses courts de la ESSANAY (ici, ici et là) avant de mesurer la différence avec The son-of-a-gun.