La guerre de Troie n’aura pas lieu : moyennant quelques poignées de mains, un ou deux sourires crispés devant des photographes, et une sodomie rapide de 320 millions d’Européens, on va éviter le pire… Pour l’instant.
C’était prévisible : la Grèce peut maintenant compter sur le soutien de ses petits amis européens. A l’image d’un groupe de seize parachutistes qui disposeraient d’un unique parachute et de quinze sac-à-dos remplis d’explosifs, les pays de la zone euro ont donc choisi de sauter dans le vide qui s’offre à eux. On comprend les sourires enjoués et la bonne humeur frétillante affichés lors du sommet européen.
En substance, en quoi consiste l’accord ?
Ceux des pays européens de la zone euro qui ne sont pas encore à barboter dans le caca, mais y sont seulement jusqu’aux genoux, ont donc décidé d’afficher un soutien officiel à la Grèce de la façon suivante : si la Grèce risque trop de faire défaut, ils lui viendront en aide à hauteur des deux tiers de ses soucis, et le FMI pour le tiers restant.
Évidemment, tout ceci est assorti de condition qui font frémir : la situation doit l’exiger ! Promis, juré, craché, on ne viendra pas en aide aux Grecs pour des peccadilles. Ainsi, pour reprendre les termes du Président Sarkozy, on va racler les fonds de tiroirs seulement si les financements devenaient insuffisants pour la Grèce sur les marchés financiers. Ce qui veut dire, en clair : « c’est à la fois si les emprunts ne sont pas souscrits complètement et si les taux de rémunération sont extravagants. »
Et pour les gens normaux, « extravagant », c’est lorsque le marché commence à comprendre que la Grèce est sur une très mauvaise pente glissante, savonnée, avec des rollers à réaction et un équilibre de poivrot en sortie de bar après deux tournées générales. Les taux reflétant le degré de risque qu’on calcule sur une obligation ou un bon d’état, on pourra facilement admettre qu’ils ne risquent pas de diminuer tant que la situation grecque ne s’améliore pas visiblement.
Or, et c’est là que l’affaire devient croustillante, avec ce mââgnifique accord, tout semble indiquer qu’aucune amélioration ne sera visible.
Tout d’abord, lorsqu’un accord engageant plus de 300 millions d’Européens est signé de haute lutte, après deux semaines d’atermoiements humides de la part des politiciens les plus dépensiers et les moins bons gestionnaires de la zone, et quand il semble déclencher un grand « ouf » de soulagement dans leurs rangs, on ne peut que trouver ça louche.
Quand un politicien affiche une joie difficilement contenue et que des nombres avec 9 zéros sont annoncés, j’ai toujours ce petit sentiment que quelque chose va très mal tourner pour ma pomme, sentiment jusqu’à présent confirmé par les faits avec une régularité et une prévisibilité de tiers provisionnel.
Si l’on ajoute que les pays qui sont le plus près de l’orthodoxie budgétaire ont traîné la patte pour signer, le sentiment se confirme violemment : ce plan est bel et bien un abominable patch sur une situation explosive et tout indique qu’il va, encore une fois, empirer la solution plutôt qu’apporter un remède de fond au problème.
En effet, la Grèce n’est pas confrontée à un problème monétaire, mais à un problème budgétaire.
Son souci n’est pas de trouver de l’argent pour se financer, mais de le faire pour éponger ses dettes, ce qui revient à faire de la cavalerie avec le soutien des autres états. Si la Grèce veut réellement résoudre ses problèmes, elle doit revenir à l’équilibre budgétaire rapidement et toutes affaires cessantes.
Compte-tenu du passif des autres pays, on comprend qu’ils se tiennent tous par la barbichette : ils ont tous, à un moment ou un autre, joué au jeu des déficits de folie, des CDS – à l’exception notable de la France, une fois n’est pas coutume – et sont tous, peu ou prou, en train de refinancer leurs dettes par de nouveaux emprunts – avec le cas notable de la France qui compense largement la bonne idée de ne pas tripoter les CDS en produisant de la dette à un rythme jamais atteint dans l’existence du pays.
On est, en réalité, dans la continuité prévisible et mécanique de la suite de la catastrophe annoncée : en donnant un message clair de soutien à la Grèce, les autres pays européens ont, ni plus, ni moins, donné un gros sursis juteux à son gouvernement, véritable rallonge de procrastination.
Ici, on applique la même méthode avec le même brio, et, très probablement, le même résultat, que celle qui fut employée en 2008 et en 2009 pour les banques américaines en faillite ; pour chacune d’entre elles, progressivement de plus en plus grosse, l’état fédéral est venu en aide, envoyant ainsi un message aux dirigeants des autres banques en difficultés : « l’Etat Maman va s’occuper de nettoyer vos petites fesses sales, pas besoin de le faire vous-même ».
Jusqu’à ce jour de septembre 2009 où la quantité de caca et la surface de fesses à nettoyer fut trop grande: « too big to bail out« . Lehman Brothers chuta. Et ce fut, bien évidemment, la panique pour toutes les autres ! Cygne noir, dindon un 25 décembre au matin, krach et fourchette en plastique, il va falloir trouver – vite, vite – un moyen rapide pour se renflouer.
Le schéma européen est le même : plutôt qu’utiliser l’opportunité de réforme profonde et nécessaire que représente la crise pour la Grèce, on passe encore une fois l’éponge du moutontribuable européen, et roulez jeunesse. Jusqu’au prochain domino (Portugal, quelqu’un ?) puis au suivant (Italie, Espagne ?), puis au suivant (France ?)… Lequel sera « too big to bail out » ? Lequel sifflera, par sa cuisante faillite, la fin de la récré budgétaire et le retour à la réalité ou, pour reprendre mon analogie du début, la rencontre rapide du sol avec le groupe de parachutistes amateurs ?
On pourra par exemple écouter avec profit l’économiste Alex Korbel interviewé hier sur RFI en face de Daniel Gros, promoteur d’un Fond Monétaire Européen, qui explique très clairement pourquoi ce genre de plan et ce genre de fonds sont une très mauvaise idée et que tout se déroule comme prévu, à savoir … mal :
[La crise] n’est pas une catastrophe, mais plutôt une opportunité les citoyens grecs. Prenons l’affaire de New York City dans les années 1970. La ville informa le gouvernement qu’elle était sur le point de déclarer faillite et que ce serait le cas à moins d’un renflouement. Le gouvernement répondit à New York « je vous en prie, faites défaut ». Et finalement, personne n’a fait défaut ! Encore mieux, la ville de New York est devenue plus responsable et ce sont les New-yorkais qui ont gagné dans l’histoire.
Le vrai problème est en amont quand on a laissé les finances publiques grecques déraper, pas le défaut en soi ! Les pays qui n’ont pas respecté les règles de l’union monétaire et qui ont profité de l’euro sans se plier aux conditions permettant d’y avoir accès ne devraient pas être récompensés pour leur mauvaise conduite. A cet égard, mieux vaut faire respecter les critères de Maastricht plutôt que de proposer un autre gadget bureaucratique comme le FME ! Il faudrait même aller plus loin en inscrivant dans les textes européens une obligation de budgets équilibrés (=zéro déficit).
Pendant ce temps, les marchés, pas dupes, se sentent de plus en plus mal.
Les récentes contre-performances de l’euro marquent clairement la confiance que la planète accorde à l’union monétaire. Mis à part quelques naïfs ou protectionnistes suffisamment à l’ouest pour chanter les louanges d’un euro faible (voire dégringolant), les déboires de la monnaie unique sur les marchés vont se traduire par un renchérissement énergétique, par une augmentation des taux d’emprunt et par un amoindrissement de la puissance européenne.
Eh oui : quand on emprunte pour payer les dispendieuses couvertures sociales collectivistes, quand on a recours, trop souvent et trop longtemps, aux manipulations financières de haute voltige pour cacher des déficits abyssaux et une mauvaise gestion impénitente, on finit toujours par se faire rattraper par les créanciers et la réalité reprend, un jour, ses droits.
Effectivement, pour les parachutistes, tant qu’ils n’ont pas essayé d’ouvrir leur parachute pour se rendre compte qu’ils ont, en réalité, un sac à dos remplis de grenades, et tant que le sol est encore loin, tout va bien.
Avec l’air frais qui file le long de leurs tempes, et la bonne humeur du groupe qui se fait des petits coucous et des sourires joyeux, tout va même mieux que bien, d’autant que de charmantes hôtesses passent distribuer du champagne et des petits fours (et c’est nous qui régalons).
Et puis un jour, …
Paf.