LA MONTAGNE
Au soir, quelque chose derrière moi.
Je m’en vais un instant, je recule,
ou titubant m’arrête et brûle.
Je ne connais pas mon âge.
Dans la matinée c’est différent.
Un livre ouvert m’affronte,
trop proche à lire confortablement
Dites-moi mon âge.
Puis les vallées se comblent
d’impénétrables brumes
comme du coton dans mes oreilles.
Je ne connais pas mon âge.
Je n’ai pas l’intention de me plaindre.
Ils disent que c’est ma faute.
Personne ne me dit rien.
Dites-moi mon âge.
Les plus profondes démarcations
peuvent lentement s’étendre s’effacer
comme le moindre tatouage bleu.
Je ne connais pas mon âge.
Les ombres tombent, les lumières montent.
Escalade de feux, oh enfants !
Vous ne restez jamais assez longtemps.
Dites-moi mon âge.
Ici des ailes de pierre ont été pénétrées
avec la plume que la plume durcit.
Les serres sont quelque part égarées
Je ne connais pas mon âge.
Je deviens sourde. Les cris d’oiseaux
faiblissent. Les cascades
non asséchées coulent. Quel est mon âge ?
Dites-moi mon âge.
Laissez la lune aller se perdre,
les étoiles s’occuper de leurs affaires.
Je veux connaître mon âge.
Dites-moi mon âge.
1952
THE MOUNTAIN
At evening, something behind me.
I start for a second, I blench,
or staggeringly halt and burn.
I do not know my age.
In the morning it is different.
An open book confronts me,
too close to read in comfort.
Tell me how hold I am.
And then the valleys stuff
impenetrable mists
like cotton in my ears.
I do not know my age.
I do not mean to complain.
They say it is my fault.
Nobody tells me anything.
Tell me how old I am.
The deepest demarcations
can slowly spread and fade
like any blue tattoo.
I do not know my age.
Shadows fall down, lights climb.
Clambering lights, oh children !
you never stay long enough.
Tell me how old I am.
Stone wings have sifted here
with feather hardening feather.
The claws are lost somewhere.
I do not know my age.
I am growing deaf. The birdcalls
dwindle. The waterfalls
go unwiped. What is my age ?
Tell me how old I am.
Let the moon go hang,
the stars go fly their kites.
I want to know my age.
Tell me how old I am.
1952
CHEMIN DE FER
Seule sur la voie ferrée
je me promenais le cœur trépidant.
Les traverses étaient trop serrées
ou trop écartées peut-être.
Le paysage était appauvri
chêne et pin chétifs ; de l’autre côté
de leurs feuillages verts mêlés de gris
j’aperçus le petit étang
où vit l’ermite crasseux,
croupi comme une vieille larme
se cramponnant à ses blessures
lucidement année après année.
L’ermite tira avec son fusil de chasse
Et l’arbre près de sa cabane fut secoué
Une vague traversa l’étang.
En un pfout-pfout la poule sursauta.
« L’amour doit passer à l’acte ! »
hurla le vieil ermite.
Un écho à travers l’étang
tenta, retenta de prouver cela.
CHEMIN DE FER
Alone on the railroad track
I walked with pounding heart.
The ties were too close together
or maybe too far apart.
The scenery was impoverished :
scrub-pine and oak ; beyond
its mingled grey-green foliage
I saw the little pond
where the dirty hermit lives,
lie like an old tear
holding onto its injuries
lucidly year after year.
The hermit shot off his shot-gun
and the tree by his cabin shook.
Over the pond went a ripple.
The pet hen went chook-chook.
“Love should be put in action!”
screamed the old hermit.
Across the pond an echo
tried and tried to confirm it.
Elizabeth Bishop, deux poèmes extraits de The Complete Poems, Farrar, Strauss et Giroux, traductions inédites de Mathieu Nuss