Pour le centenaire de sa naissance en 1910, le moine bouddhiste Matthieu Ricard (fils de feu Jean-François Revel), réédite le livre d’hommage qu’il a consacré à son maître spirituel. Il a étudié douze ans auprès de lui.
Très illustré de photos de l’auteur, orné de textes de méditation, de poèmes du maître ou de ses inspirateurs, ce beau livre est, pour qui le lit attentivement, une profonde introduction à ce pays mystérieux, de haute élévation spirituelle, qu’est le Tibet.
Approcher l’esprit du Tibet n’est pas anodin aujourd’hui. Les Chinois han communistes ont en effet entrepris de détruire au canon, par les camps puis par la colonisation massive ce peuple des montagnes. Cela pour extirper ce qu’ils ne comprennent pas et appellent de façon méprisante et scientiste les quatre « vieilleries ». Mais aussi parce que le sous-sol tibétain est riche de minerais rares, vitaux pour l’industrie patriotique, et que ses hauts-plateaux contrôlent l’eau du sud-ouest asiatique tout en mettant sous le feu des missiles n’importe quelle puissance régionale.
Enivré par leur essor économique, les Chinois han ne se sentent plus et usent de leur puissance pour vilipender quiconque un tant soit peu connu qui reçoit le Dalaï-lama. Cette forme de terrorisme intellectuel est condamnable. Il faut y résister.
Selon les enseignements du maître, il faudrait chercher chez les Hans la nature de l’Esprit, attitude qui seule permet de rester ouvert. L’existence du précieux Khyentsé (rinpoché veut dire précieux) montre combien le bouddhisme est une discipline exigeante qui prend toute une vie. Les dons précoces ne suffisent pas, un maître doit vous reconnaître. Il va désormais s’attacher à vous enseigner la voie droite, vous apprendre à lire et relire et à réciter par cœur des volumes entiers de textes de sagesse. Vous devrez pratiquer assidûment et par longues périodes la méditation en solitaire pour, enfin, transmettre et enseigner. Car le bouddhisme n’est rien s’il ne transmet. On ne fait pas son salut tout seul mais l’état de compassion est une étape obligée pour atteindre l’Eveil. A votre tour de reconnaître un ancien maître spirituel dans un petit enfant qu’il vous reviendra de former.
La théorie ne va donc jamais sans la pratique, ni la logique sans la maîtrise yoguique du corps et des passions. « Puisque cette pratique est si essentielle, les qualités du maître lui-même jouent un très grand rôle », explique Matthieu Ricard. « A l’époque où nous vivons, les conditions propices à la spiritualité se sont détériorées. Les hommes sont très perspicaces et inventifs, mais ils manquent souvent d’une authentique bienveillance humaine et utilisent leur intelligence de façon de plus en plus destructive ». D’où l’importance de témoigner des exemples précieux de ces maîtres qui rayonnent encore.
Pour combien de temps encore ? L’orgueil han, scientiste et « progressiste » méprise tout ce qui n’est pas matérialiste et tout ce qu’il ne comprend pas. D’où l’exigence de résister, pour ceux qui croient comme pour ceux qui ne croient pas, afin de conserver une plage de liberté à la conscience humaine.
Matthieu Ricard, L’Esprit du Tibet – La vie du maître Dilgo Khyentsé Rinpoché, préface du Dalaï-lama, 1996, éditions La Martinière, réédition 2009, 167 pages ou Points-Seuil 5.22€