Interview de Sébastien Moricard, direction commerciale et marketing des éditions Tonkam

Publié le 25 mars 2010 par Mariane

Moi : "Pouvez-vous nous présenter vos responsabilités au sein des Editions Tonkam ?"

S.M : "Je porte deux casquettes. D’une part, j’assure l’interface avec le diffuseur. A ce titre, je propose des objectifs commerciaux et des budgets nécessaires pour les atteindre. J’analyse les ventes, définis des niveaux de priorités et propose mes recommandations … Je gère des plannings et des budgets…D’autre part, j’anime le service des études marketing. A ce titre, je définis les stratégies marketing adaptées et coordonne la mise en place et le suivi des actions."

Moi : "Pouvez-vous nous décrire brièvement l’activité des Editions Tonkam : titres principaux, chiffre d’affaires, part de marché ?"

S.M : "Tonkam est un éditeur historique qui a fortement consolidé sa présence sur le marché ces 5 dernières années. Le catalogue compte plus de 1 000 références aujourd’hui avec des séries historiques comme X, Parmi eux, Amer Beton, des auteurs incontournables comme Osamu Tezuka, CLAMP, Masakazu Katsura, Kaori Yuki,Takeshi Obata, Rumiko Takahashi, Takehiko Inoue. Tonkam représente à peu près 6% du marché 2009 avec environ 6,6 Millions de C.A."

Moi : "Comment se porte le marché du manga ? La crise du pouvoir d’achat a-t-elle eu un impact sur ce secteur ?"

S.M : "En 2009, la conjoncture n’était pas favorable. Je pense notamment à la loi de modernisation de l’économie qui a perturbé l’activité des libraires. Pour ce qui est de la crise, même si, en comparaison avec les autres secteurs, les effets ont un peu tardé à se faire sentir, ils ont fini par rattraper notre marché. Le marché du manga est en phase de maturité (phase qui précède le déclin). On peut noter que GFK annonce une très légère baisse volumétrique en 2009. (-0,5 %)"

Moi : "Quelles sont vos forces face à l’inflation de la production et au nombre impressionnant d’éditeurs ? Une offre extrêmement variée ? Une innovation constante ?"

S.M : "Effectivement c’est important de se remettre en cause régulièrement pour se demander si l’on est en phase avec son marché. Cette réflexion a toujours des implications éditoriales et marketing. Nous essayons d’être force de proposition afin d’animer le marché avec une offre renouvelée qui colle avec l’évolution du gout des lecteurs. Par exemple, 2010 sera pour nous l’année de la collection Young manga. C’est une collection de titres à mi-chemin entre le courant Seinen et Shonen, dédiée à un lectorat de jeunes adultes. L’éditeur KAZE manga à annoncé sa collection Shonen up (qui est une collection partageant les mêmes ambitions éditoriales) quelques jours avant notre annonce, et le magazine Animeland à consacré un numéro à ce nouveau courant… Je pense que nous allons dans le sens de l’histoire. "

Moi : "Le lectorat a-t-il évolué ? Avez-vous réussi à conquérir le cœur des femmes et des plus jeunes ? Comment expliquez-vous ce phénomène ?"

S.M : "Les filles ont toujours été une part importante du lectorat manga. Quant au cœur de cible, il est relativement stable. Il demeure une pyramide qui s’alimente par le bas. Les nouveaux lecteurs sont jeunes. Ils arrivent grâce à des séries comme Naruto ou One Piece. Beaucoup restent des lecteurs occasionnels qui suivront une ou deux séries. Les autres, moins nombreux se passionneront pour le manga, et pourront suivre une dizaine de séries en même temps. Mais cette phase ne dure que quelques années, et la rentrée post-bac est souvent l’âge ou ils décrochent… La raison d’être d’une collection comme Young et de donner un prolongement par une offre qui s’adresse au lectorat qui décroche des séries (ados)."

Moi : "Les séries ont la côte, le vérifiez-vous au sein des éditions Tonkam ?"

S.M : "99% des mangas publiés sont de séries. Mais il demeure un paradoxe. Aujourd’hui, vu la saturation de l’offre, une série courte est plus engageante à commencer qu’une série qui compte déjà 40 tomes… Et pourtant, une série longue est souvent synonyme de série à succès au japon donc avec un certain potentiel en France … "

Moi : "Prévoyez-vous de vous développer davantage sur Internet ? Après Facebook, la mise en place d’un forum, la création de mini sites sur des titres forts, quelle stratégie de communication online pour demain ?"

S.M : "La mise en place de notre réseau de communication est une base, pas une finalité. La stratégie de web marketing de demain, c’est de donner de la valeur à ces supports et c’est plus un marathon qu’un cent mètres. Dans le domaine du manga, l’offre est très intéressante ! Les displays ont un CPM très bon marché, les réseaux sociaux et sites d’informations traitent et relaient une grande quantité d’information. La vraie difficulté, c’est d’obtenir l’accord des éditeurs japonais pour travailler largement avec cette offre."

Moi : "La conjoncture actuelle a-t-elle favorisé le rapprochement entre acteurs du manga ? Pouvez-vous nous citer quelques exemples de partenariats ou d’actions de licensing que vous avez mis en place récemment ?"

S.M : "Lorsqu’une série se décline en manga, en série animé ou en jeux vidéo, il parait cohérent que les éditeurs respectifs œuvrent à mutualiser leur promotion. Les partenariats se nouent facilement en France mais ne trouvent pas toujours de prolongement au Japon : il arrive souvent que des projets marketing ne voient pas le jour car non approuvés par les maisons mères de chacun. "

Moi : "Quels sont les difficultés principales que rencontre le secteur de l’édition de manga ? Séduction des libraires, des distributeurs ? Taux de retour plus importants ? Baisse du nombre de tirages ?"

S.M : "Oui un peu de tout ca ! Beaucoup de libraires sont dépassés par l’offre, et le manga devient un ‘produit frais’. Les grosses quantités sont prises sur les titres avec historiques de ventes favorables, l’exposition sur table est souvent réservée aux titres qui sont déjà demandés, et limitée à une dizaine de jours ! La majorité des points de ventes cherchent l’optimisation du ratio de rentabilité au mètre linéaire. Les références à faible rotation sont retournées. Les gens ne commandent pas ce qu’ils ne voient pas. Il est devenu difficile d’installer les nouvelles séries tout en maintenant le niveau des séries de fond."

Moi : "Quel est selon vous l’avenir du marché du manga ?"

S.M : "Je pense que nous vivons l’âge d’or actuellement. Les années à venir devraient voir une contraction du marché. L’offre numérique apportera son lot de nouveautés. La création éditoriale française aura assimilée cette influence et proposera sans doute de nouvelles choses."