Se poser la question d’une sortie de l’euro (de gré, ou même de force si l’on écoute Angela Merkel) et de ses avantages et inconvénients comparés est devenue furieusement tendance ces derniers temps avec les déboires financiers de la Grèce. Le sujet était abordé une nouvelle fois samedi dernier dans le cadre de Good Morning Week-end, l’émission hebdomadaire sur BFM où Fabrice Lundy commente avec quelques invités les faits marquants de l’actualité politique et économique de la semaine (une émission que je recommande vivement pour la qualité des analyses des invités et leur absence de complaisance, surtout lorsque les invités en sont Marc de Scitivaux et François Heisbourg, Cf. par exemple l’émission du 6 mars dernier sur le même sujet de la faillite des Etats - dont traite aussi ce bide littéraire qu'a été "Ras-le-bol").
Donc dans l’émission de samedi dernier (pour n’écouter que le passage sur l’euro, télécharger en podcast et écouter de la 14e à la 21e minute environ), une phrase de François Lenglet a remis en cause quelques unes des certitudes ancrées de longue date dans mon cerveau de financier. J’en profite pour revenir de façon un peu iconoclaste sur le sujet d’une sortie de l’euro.
Sur ce sujet, les échanges des invités de Fabrice Lundy opposaient en gros les passions (au sens spinozien) des peuples et les réalités financières.
A la tentation soulignée par François Lenglet d’une dévaluation en Grèce aujourd’hui et en Espagne demain, Philippe Tibi (Président d’UBS en France) opposait, non sans raison, que la Grèce se financerait alors non pas à 6 %, mais à un taux prohibitif de 15 %.
Et François Lenglet de rétorquer alors que certes, mais qu’une dévaluation rassurerait les marchés par la promesse d’une croissance future (ça, j’y crois moyen mais j’y reviendrai), et surtout que l’euro était devenu le franc CFA de l’Europe du Sud, ce qui arrange les élites locales en préservant leur pouvoir d’achat international et en leur permettant de délocaliser leur épargne à l’étranger. Un argument qui, je dois l’avouer, a fait mouche dans mon esprit.
En d’autres termes et de façon un peu schématique, les milieux aisés (cadres dirigeants, professions libérales etc), dont on sait que les revenus, que ce soit en Grèce ou en France, pâtissent assez peu de la concurrence à bas coût de la main d’œuvre chinoise, tirent plutôt avantage de l’euro et de sa vigueur, par exemple lors de leurs séjours touristiques à l’étranger.
En revanche, le salarié d’un secteur d’activité exposé à la concurrence internationale subit lui les inconvénients de la monnaie forte qu’est l’euro (de façon simplifiée, les produits fabriqués par son entreprise coûtent encore plus cher et sont donc moins compétitifs par rapport à ceux en provenance des économies émergentes, d’où un risque de délocalisation). Et comme il y a assez peu de chances que ses moyens financiers lui permettent d’aller séjourner dans un hôtel quatre étoiles à Londres ou à New-York, il ne profite guère des avantages du niveau élevé de l'euro.
Une fois énoncé cet argument (dont on se demande comment Olivier Besancenot ou Marine Le Pen n’ont pas encore pensé à l’utiliser), un pays comme la Grèce (ou la France…) aurait-il pour autant intérêt à sortir de la zone euro ?
Pas facile de reprendre de façon simple les incidences d’une sortie de l’euro. Commençons par un petit rappel sur le passage à l’euro :
Au moment du passage à l’euro, la dette publique française a été convertie de francs en euros sur la base d’un taux de conversion de 1 € = 6,55957 FRF fixé de façon certes rationnelle mais néanmoins « administrée ».
Le 4 janvier 1999, après un week-end de bascule informatique, 3 680 milliards de francs de dette publique sont devenus 561 milliards d’euros (pour ceux qui s’étonneraient de ce montant, il s’agit de la dette publique négociable de l'époque).
Mis en circulation le 1er janvier 2002 sous sa forme fiduciaire (pièces et billets dans nos porte-monnaie), l’euro a en effet été utilisé dès le 1er janvier 1999 pour la cotation des actifs financiers (actions, obligations parmi lesquelles les emprunts émis par l’Etat français).
Dans l’hypothèse où un pays déciderait de sortir de l’euro à sa propre initiative, si la France décidait par exemple de revenir au franc, deux cas de figure se présenteraient à mon sens (je n’ai rien trouvé, même sur le site de l’agence France Trésor, sur les caractéristiques contractuelles des emprunts d’Etat et donc sur une éventuelle clause quant à la devise de rembousement).
1/ La dette publique reste libellée en euros
Il est extrêmement probable, pour ne pas dire absolument certain, qu’un pays qui sortirait de l’euro pour cause de difficultés financières, verrait sa monnaie immédiatement attaquée sur les marchés et se dévaluer rapidement par rapport à l’euro et aux autres devises.
Sauf évidemment, si c’était l’Allemagne qui sortait volontairement de l’euro pour revenir au deutsche mark….
Donc à titre d’exemple :
Si la France décidait de revenir au franc, elle devrait continuer à supporter une dette négociable de l’Etat qui atteint aujourd'hui 1.164 milliards d’euros.
Le franc retrouvé ne se convertirait ensuite certainement plus sur la base de 1 € = 6,55957 FRF, mais plus vraisemblablement sur la base de 1 € = 10 FRF ou 1 € = 13 FRF par exemple.
L’Etat se trouverait donc contraint d’acheter des euros avec un franc dévalué et le remboursement de la dette et le paiement des intérêts lui coûterait 50 % plus cher (cas de 1 € = 10 FRF) ou deux fois plus cher (1 € = 13 FRF).
La dette de 1.164 milliards d’euros serait donc devenue 50 % ou 2 fois plus élevée.
Sans parler des taux à servir sur les nouveaux emprunts émis qui ne serait plus de 3,5 % comme actuellement (taux de l’OAT à 10 ans), mais de 8, 10 ou 15 %.
2/ La dette publique est convertie autoritairement dans la monnaie d’origine
Toujours dans l’hypothèse où la France décidait unilatéralement de revenir au franc, l’autre alternative consisterait à convertir les 1.164 milliards d’euros de dette publique. Sur la base du taux de conversion de 1 € = 6,55957 FRF (par hypothèse), cela serait théoriquement neutre pour les détenteurs d’emprunts d’Etat français.
Théoriquement seulement.
Car il ne fait pas de doute que le franc se trouverait dévalué face à l’euro dans les jours ou les semaines qui suivent. Et si le taux de change était par exemple de 1 € = 10 FRF, les détenteurs d’emprunts d’Etat verraient la valeur de leurs avoirs amputés d’un tiers.
Dans un tel cas de figure, la France (ou tout autre pays) n’aurait pas d’effort financier supplémentaire à fournir pour rembourser la dette et payer les intérêts.
En revanche, compte tenu de cette spoliation ouverte des investisseurs, il n’y aurait plus guère de candidats pour acheter des nouveaux emprunts d’Etat. La France se trouverait condamnée à l’autarcie financière avec deux solutions pour l’Etat : revenir immédiatement à une situation d’excédent budgétaire pour ne plus avoir à emprunter, ou emprunter autoritairement auprès des citoyens.
Bien sûr, tout cela est très simplificateur. Il conviendrait de tenir compte de multiples facteurs, les possibilités d'intervention du FMI etc. Il n'empêche, dans les deux cas, il me semble que les inconvénients d’une sortie de l’euro l’emporteraient largement sur les avantages du supplément de croissance qui pourrait être espéré d’une devise plus compétitive.
Que faire alors dans le cadre de la zone euro ?
La baisse de l’euro constatée depuis plusieurs semaines pourrait si elle se poursuit redonner de la compétitivité à l’exportation aux pays d’Europe du Sud.
En ce qui concerne la valeur interne de l’euro (niveau général des prix au sein de la zone euro), un peu plus d’inflation (qui n’est pas autre chose qu’une spoliation larvée des détenteurs d’emprunt d’Etat) pourrait être tentant (sans même s’inquiéter du risque pour la Grèce de finir comme le Zimbabwé et ses milliards de % d’inflation).
Le principal obstacle à un effacement partiel des dettes publiques par le biais de l’inflation me semble résider dans le contexte de mondialisation et de concurrence des économies émergentes qui fait que les salaires ne progresseraient pas ou peu (contrairement aux années soixante-dix où les baby-boomers ont profité de salaires indexés sur une inflation à deux chiffres). Le mécontentement social risquerait de prendre rapidement des proportions incontrôlables.
Après, il reste la guerre. Fort heureusement, on en est loin. Encore qu’à voir la tournure que prennent les manifestations d’humeurs des opinions publiques allemande et grecque, on puisse s’interroger sur fondamentaux de la nature humaine.
PS : A lire aussi sur le sujet des dettes publiques des pays de la zone euro, le point de vue de Nouriel Roubini dans les Echos du 22 mars 2010.
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