Dans le billet précédent, à propos de la dernière affaire Zemmour, je m'inquiétais de la situation de la liberté d'expression en France. Maintenant, je me fais un profond souci pour les facultés cognitives de mes concitoyens.
Le mouron a commencé en écoutant la réaction de Rachid Arhab, membre du CSA, le super gendarme de la télévision et de la radio. Invité à France 5, dans l'émission Media, le magazine, il a déclaré : « on peut être Arabe et éventuellement pas trafiquant de drogue, on peut être au CSA. » Comme si les propos de Zemmour pouvaient signifier qu'un Arabe, ou un Noir, n'avait d'autre possibilité que d'être un délinquant !
On peut tordre la phrase de Zemmour comme on veut, elle n'a absolument pas ce sens ; Zemmour l'a d'ailleurs fort bien souligné dans l'émission de France Ô, L'Hebdo. Même Dominique Wolton s'était alors agacé, avec mauvaise foi il est vrai, de ces précisions… Il suffit de réécouter l'enregistrement (quatrième vidéo).
Alors, je m'interroge : comment quelqu'un d'éduqué et d'intelligent comme Rachid Arhab peut-il commettre un tel contresens ? Surtout qu'il n'est pas le seul. Lisez les commentaires de n'importe quel article publié sur le web à propos de cet affaire, et vous verrez des gens écrire que les paroles de Zemmour suintent l'appel à la haine raciale en suggérant que tous les Arabes et tous les Noirs sont des délinquants, ou, au choix, que les délinquants noirs et arabes le sont parce que Noirs et Arabes.
La maîtrise de la langue française serait-elle tombée si bas qu'une phrase, pourtant simple, ne soit pas comprise ?
Il faut le craindre, apparemment. Je me doute bien que, dans le lot, beaucoup aussi font exprès de ne pas comprendre ; ils sont trop contents de pouvoir brocarder un “réactionnaire”. Ce fut exactement la même chose pour les mots de Sarkozy : kärcher et racailles. Je peine à croire que les professionnels de l'indignation n'avaient alors pas compris le sens exact de ces expressions ; je pense volontiers, en revanche, qu'ils avaient parfaitement saisi tout le parti polémique qu'ils pouvaient en tirer. Mais Je me souviens également de simple quidams, interrogés par des journalistes de la télé sur le « kärcher », et qui se scandalisaient que l'on pût suggérer de laver des gens au kärcher, alors que le mot voulait simplement dire éradiquer la délinquance de la cité des 4000…
Mais mises à part la malhonnêteté calculatrice et l'imbécilité nue, il y a une autre explication. Fondamentalement, pour toute une catégorie de gens, intellectuels ou non, Zemmour n'est idéologiquement pas compréhensible. Quelle que soit la pertinence ou la véracité de ses affirmations, elles ne sont tout simplement pas intelligibles pour eux parce qu'elles ne cadrent pas avec leur univers mental, ni avec leur découpage idéologique du monde. Et c'est vraiment inquiétant, cela montre à quel point l'intelligence commune est mitée par l'idéologie.
Personnellement, j'ai beau rarement m'accorder avec Zemmour (comment le pourrais-je : il est anti-libéral), cela ne m'empêche pas de correctement saisir ce qu'il dit, c'est-à-dire de ne pas attribuer d'autres significations à ses propos que celles qu'ils ont… Ce n'est franchement pas un exercice difficile. Mais cela demande deux choses : de changer de masque pour comprendre la logique adverse, d'avoir une bienveillance minimale – celle de refuser de travestir par exprès les propos d'autrui. Aussi, les incompréhensions répétées dont Zemmour fait l'objet montrent plusieurs choses : le règne appauvrissant de l'idéologie, le renforcement concomitant de l'intolérance, le rétrécissement consécutif de l'espace démocratique du débat, lequel exige un minimum de fair play et d'honnêteté. Par là peut-on suggérer que la liberté, en l'occurrence d'expression, n'est pas vaine pour l'entretien de facultés intellectuelles.
Texte repris avec l'aimable autorisation de l'auteur. Image : Eric Zemmour à la Comédie du livre de Montpellier le 1er juin 2008. Licence de documentation libre GNU, auteur Dinkley.