Hier matin, j’avais envie de rire. J’ai donc écouté la radio sur une chaîne française (le streaming IP, c’est pratique) et, histoire d’être sûr d’en avoir pour mon temps et donc mon argent, j’ai mis Europe-1. Bingo.
C’est entre deux billevesée et trois pubs qu’est venu se coincer cette petite sensation qui ne s’appelle pas Coke du tout, un peu comme le petit bout de feuille de salade coincée entre les deux incisives supérieures après un bon steack, parfaitement caractéristique de ce que la France produit de meilleur en terme de buse calibrée prête à l’emploi.
Il faut dire que le sujet allait naturellement se prêter à un bon gros dérapage des familles : la santé.
En Fraônce, la santé, c’est sacré ! Les aficionados de la santé étatique et du système de soins à la française auront toujours le fusil en bandoulière quand le sujet est évoqué et seront prêts à s’en servir pour bien faire rentrer dans le crâne du chafouin qui viendrait à le remettre en question que La Santé Étatique, C’est Sacré, Dussiez-Vous En Mourir Pour Le Comprendre. Pan !
Dans le cas qui nous occupe, la voix dans le poste nasillait un contexte qui peut se résumer ainsi : le conseil général de la Sarthe, constatant un manque de médecin – ils ne veulent pas s’installer dans le département des rillettes, semble-t-il – a décidé d’aller les choper par tous les moyens, y compris en allant les chercher … à Cluj, en Roumanie.
Mieux : le docteur en charge du recrutement de ces médecins généralistes s’est dit que tant qu’à faire, autant prendre les Français qui étudient sur place et leur proposer de faire leur internat, tous frais payés, en France, moyennant engagement à travailler dans le département pendant plusieurs années.
Mais voilà, dans l’esprit du journaliste qui interroge, cette histoire, c’est surtout :
- un moyen d’engager des médecins au rabais
- un bon truc pour contourner le numerus clausus.
Et pour vous en convaincre, écoutez vous-même ici le dialogue qui donne cela :
« Ce sont des étudiants qui ont été recalés en France ?
_Voilà.
_Ce sont des étudiants qui ont une formation au rabais, qui sont moins bons…
_Je ne veux pas entendre ça, je vais vous dire pourquoi, ils ont un diplôme européen et toute légitimité à s’installer dans notre pays.
_Mais c’est une façon de contourner le numerus clausus, a priori quand même.
_Absolument.
_Et vous trouvez ça bien, positif ?
_Ben oui parce que le numerus clausus n’arrive pas à fabriquer suffisamment de médecins. »
En tant que Français qui écoute ça, de l’étranger, et qui fréquente des Roumains dans le cadre de son travail, on est, ni plus ni moins, pris de honte.
En somme, en une petite conversation concise, on a tout le génie de notre système de soins planifié et de notre lavage de cerveau républicain résumé jusqu’à la portée des bivalves mous qui composent majoritairement la faune morne du pays.
Côté planisme & décadence, on note clairement la réalité, exposée platement par le médecin en charge de l’opération : le numerus clausus ne répond absolument pas aux besoins. Et comme c’est une critique que j’entends depuis au moins 20 ans (ce qui se vérifie d’ailleurs concrètement par le fait qu’on doive aller, justement, chercher des docteurs en Roumanie …) on en arrive à la conclusion logique que ce problème n’est pas près d’être résolu rapidement.
Mais le plus symptomatique est la consternante réaction du journaliste, à la fois spontanée, totalement décontracté dans sa xénophobie ou son inculture crasse, et dans sa touchante naïveté.
Riîindez-vous compte, les enfants : importer ici, en Fraônce, éternelle et merveilleuse, des Français avec un diplôme de Cluj, ça ne peut être que délétère ! Des médecins au rabais, vous dis-je ! Tout le monde sait que les Roumains font du travail de … de… j’allais dire d’Arabe, mais je vais dire de Roumain, hein, parce qu’entre racistes et xénophobe, tout ça, c’est du pareil au même, non ?
Bah non.
Les Roumains ne crèvent pas dans les rues, la bouche ouverte, de l’absence de soin et/ou de méthodes antédiluviennes prodiguées par de sombres rebouteux aux recettes de grand-mère. En réalité, cela fait un moment que ce pays dispose d’équipements de plus en plus modernes, de médecins parfaitement aptes et aussi doués que ceux qui sortent des bancs de nos facs ; et considérant qu’il sort d’une période de communisme actif et joyeux, on peut dire qu’il s’en sort honorablement bien.
D’ailleurs, ironie d’un sort décidément chafouin, la médiocrité des remboursements de soins dentaires de la Sécu Fraônçaise oblige régulièrement des Français (et pas parmi les plus riches, loin s’en faut) à aller s’y faire refaire les quenottes à tel point qu’un véritable tourisme médical se met en place actuellement.
Mais dans l’esprit du journaliste, dans un premier temps, un médecin formé en Roumanie, c’est un médecin au rabais.
Les Roumains apprécieront.
Cependant, notre journaliste, histoire de ne pas usurper sa carte de presse, a décidé d’ajouter une petite insulte à l’injure.
Voyant que l’angle « Les médecins roumains sont un peu pourri, non ? » ne marchait pas trop auprès de son interlocuteur, il a finement biaisé sur le côté « En fait, vous importez du diplomé roumain parce que vous êtes un petit fraudeur, j’ai bon ? » en jouant sur la corde du Numerus Clausus, magnifique concrétisation du planisme étatique stupide visant essentiellement à protéger le corporatisme des vendeurs de soins.
Car pour celui qui décoche ses questions, pas de doute : le numerus clausus, il est là pour de bonnes raisons, pour assurer par exemple la bonne qualité de la récolte, garantir une fraîcheur optimale et une bonne teneur en vitamines et en citoyenneté pétillante du batch de médecins. Le Numerus Clausus, quelque part, c’est fabriquer de la rareté, donc de la qualité, puisque ce qui est rare est cher et ce qui est de bonne qualité aussi.
Non ?
Eh bah non encore.
Par exemple, le nombre de licences de taxis à Paris a évolué de 10% en 40 ans sur Paris (pendant que la population subissait une augmentation de 40%) et on ne peut pas vraiment dire que la qualité générale du service se soit conservée surtout que le nombre de taxis par habitant est en chute libre.
Non, décidément, non, s’il y a bien quelque chose de pourri dans cette histoire de diplômes de médecine roumains, ce n’est pas le diplôme, mais ce sont plutôt le numerus clausus et le journaliste.
Ce qu’il y a d’étonnant, c’est cette facilité du journaliste franchouillard à se comporter comme un trou du cul considérant les autres pays comme arriérés, en toute impunité, et d’enchaîner ensuite sur un autre sujet où, précisément, les journalistes d’un autre pays – l’Angleterre, ici – montrent qu’on peut très bien avoir la carte de presse et continuer de faire un travail décent et d’utilité publique.
Ici, un journaliste anglais s’est donc fait passer pour un représentant d’une entreprise fictive et a filmé à leur insu ses rencontres avec plusieurs parlementaires du Labour. Ces derniers se disent prêts à utiliser leurs relations pour arrondir les angles en échange de monnaie sonnante et trébuchante.
Cela fait combien de temps, exactement, que des journalistes français n’ont plus fait ça ?
Oh, il y a bien la « caution » du Canard Enchaîné par qui tous les scandales arrivent. Normal : c’est le seul, parmi les rares vivant sans subventions, qui se permet encore, de temps en temps, de faire fuiter quelque truculente affaire.
Mais ils sont où, les fins limiers du Monde, du Fig ou de Libé ? Où se planquent-ils, ceux qui émargent à l’Agence Fraônçaise de Pravda ? Que font ceux qui ne rêvent que d’agir au sein des Points, du JDD ou de France Soir ? Et sur les radios ? Sommes-nous condamnés à supporter les soi-disant impertinences de passes-plats mous et tremblotants dans l’interview des puissants, ou les roquets agressifs dans ceux des petites gens ?
Non, décidément, personne.
Pourtant, avec ce qui se profile à l’horizon, il y aurait bien du travail.
Ce pays est foutu.