Le mois d'avril prochain verra débuter, sur la chaîne câblée américaine Showtime, la quatrième et dernière saison de The Tudors. En téléphagie, il y a difficilement meilleur public que moi devant une fiction télévisée historique : peu importe l'époque, la nationalité ou même le fond du sujet, j'aime les plongées plus ou moins romancées dans un tourbillon mêlant grande et petite histoire.
Pourtant, s'il est une série historique solidement installée actuellement, mais avec laquelle j'entretiens des rapports très conflictuels, il s'agit bien de The Tudors. Pour tout vous dire, c'est une série que j'ai pris l'habitude d'abandonner, en moyenne, 3 fois par saison... mais vers laquelle je finis toujours, bon gré, mal gré, par revenir pour achever les derniers épisodes inédits et attendre la suite - ces tergiversations s'étalant généralement jusqu'à l'hiver suivant. J'ai beaucoup de peine à m'expliquer cette étrange attitude téléphagique qui défie toute logique, car cela fait quelques années que je me montre des plus expéditives avec les séries que je suis : j'abandonne sans arrière-pensée, ni regret, là où, auparavant, je m'efforçais de finir religieusement.
Objectivement, l'agacement engendré par le visionnage d'un épisode des Tudors est rarement contre-balancé par les quelques trop rares scènes bien dosées et intrigantes qu'il pourra éventuellement comprendre. Cependant, chaque printemps, je suis toujours au rendez-vous. Et chaque printemps, invariablement, après le visionnage du pré-air traditionnel, je me pose les mêmes questions qu'aujourd'hui.
Le premier qualificatif qui me vient à l'esprit en pensant à The Tudors serait le terme "frustrant". Une frustration chargée de regrets, en raison du potentiel que l'on sent poindre par moment, des moyens matériels mis à disposition et de l'ambition du sujet de départ, qui nous rappellent ce que la série aurait pu être, si d'autres choix scénaristiques avaient été faits. Elle se propose de nous raconter, romancée de manière excessive, mais surtout avec une ré-appropriation des codes scénaristiques du soap qui sont transposés, sans adaptation, dans ce cadre du XVIe siècle, la vie du roi Henri VIII, célèbre, suivant votre intérêt, pour sa politique religieuse ou le nombre d'épouses, au destin tragique pour certaines, qui se succédèrent à ses côtés. La saison 1 s'était ouverte en 1518, à l'époque Catherine d'Aragon était encore Reine d'Angleterre, le cardinal Thomas Wosley gérait d'une main de fer les affaires du Royaume et avait l'oreille du roi, et Thomas More était un ami apprécié du roi. Une éternité semble s'être écoulée tant ce tableau paraît désormais si lointain, appartenant à une autre vie bel et bien révolue. Cette saison 4 de The Tudors débute en 1740, par l'annonce du mariage entre Henri VIII et sa dernière femme en date, Katherine Howard, sa cinquième et avant-dernière.
Ce premier épisode de la saison pose les enjeux à venir, les relations amoureuses prenant, comme toujours, le pas sur le contexte historique plus global qui n'est qu'évoqué indirectement, à travers notamment les multiples références au Royaume de France. Henri VIII présente fièrement à la cour sa nouvelle épouse, une jeune femme d'une légèreté puérile ou rafraîchissante - suivant votre point de vue - , dont la frivolité exaspère rapidement le téléspectateur autant qu'elle amuse, pour le moment du moins, le roi d'Angleterre. Si les premiers pas hésitants de la jeune femme en tant que reine ne sont pas des plus concluants, elle retient surtout l'attention de Thomas Culpeper qui paraît nourrir une obsession bien malsaine à son égard, le poussant déjà aux pires extrêmités pour calmer ses pulsions. Si je n'ai porté qu'une attention très modérée à ces énièmes roucoulements soap-esques, l'épisode contient cependant des aperçus politiques plus intéressants.
L'exécution de Cromwell a laissé un vide manifeste dans l'entourage du roi, qui se contente désormais d'entériner les décisions prises quasiment seul par Henri, sans essayer, ni parvenir, à modérer les excès royaux. Assisté d'hommes ambitieux pragmatiques, à son image, il n'y a plus aux côtés du roi de conseiller sachant tirer les ficelles et s'imposer. Les quelques rares qui restent en décalage avec cette approche courtisane paraissent, de guerre lasse, ne plus se formaliser par ses éléments, tel le duc de Suffolk, un ancien toujours présent aux côtés d'Henri, mais qui a bien changé depuis sa fougue des débuts.
Pour le reste, ce début de saison reprend les mêmes ingrédients, et quasiment les mêmes schémas, que les saisons passées : de la lune de miel amoureuse - mais que l'on devine versatile - du roi, jusqu'à l'introduction d'ambitieux personnages issus de sa nouvelle belle-famille, en passant par l'instabilité de caractère d'Henri et sa constante rivalité avec la France, tout est là, de manière presque invariable. A croire que le changement d'épouse et les années qui défilent ne sont que prétexte pour reproduire les mêmes dynamiques... En cela, il est heureux que Henri VIII n'ait eu "que" six femmes et que la saison 4 soit la dernière, le risque de copier-coller commençant à poindre de manière insistante.
Les reproches que j'adresse à The Tudors n'ont pas varié depuis la première saison, si ce n'est que l'effet de répétition accentue un peu plus leur visibilité et réduit la tolérance du téléspectateur. Il s'agit d'une série qui a fait sienne le précepte selon lequel il est nécessaire ré-adapter au goût du jour ces vieux récits en costumes d'évènements d'autrefois, pour espérer ne pas offrir une plongée dans l'Histoire qui serait placée sous le signe de l'ennui. Dans cette optique, The Tudors ne propose pas une reconstitution historique : elle prend simplement le prétexte d'un tel cadre pour délivrer, avec une pointe d'exotisme passéiste prétexte à tous les excès, un soap dans les coulisses d'un pouvoir politique royal. Les histoires de coeur ont trop souvent éclipsé, voire même balayé, les enjeux politiques. La versatilité de Henri VIII n'est que la partie émergée d'une dynamique qui parcourt l'ensemble de la cour, où les sentiments - et leur dangerosité - semblent toujours destinés à prendre le pas sur des réflexions plus rationnelles. Si les scènes d'amour n'ont pas le caractère cru d'autres fictions du câble américain, conservant toujours un esthétisme soigné auquel la série est désormais attachée, elles ne manquent cependant pas, soulignées par des mises en scène généralement des plus inventives.
Seulement, cet aspect soapesque donne également une désagréable impression de creux dont la série ne parvient jamais à se départir, naviguant à vide et se perdant dans cette vanité sentimentale sans relief. Il fait malheureusement passer au second plan des intrigues politiques déterminantes, désamorçant les ressorts dramatiques, réduisant les complots politiques à des coucheries manipulatrices, le tout manquant singulièrement d'envergure. La série rabaisse ses ambitions en les réduisant à l'instinct humain le plus primaire, les sentiments, élaguant ainsi une grande partie de la complexité touchant à ses intrigues de cour. Ce n'est pas un hasard si les épisodes les plus marquants et les plus réussis proposés par The Tudors, ont été ceux qui lui donnaient l'occasion d'assumer pleinement son genre historique et permettaient de mettre entre parenthèse l'angle d'attaque soapesque choisi ; en témoigne par exemple l'épisode traitant de l'épidémie de Suette (Episode 7, saison 1), un des plus forts et des plus aboutis qu'ait eu à nous offrir la série.
Pourtant, en dépit de tous les reproches que je lui adresse, je vous l'ai dit, je finis toujours par reprendre le fil de l'histoire là où je l'avais abandonné. Pourquoi ? A bien y réfléchir, je pense que cela s'explique sans doute pour des raisons avant tout formelles. En effet, le visionnage d'un épisode de The Tudors ne peut que rappeler au téléspectateur les ambitions initiales de Showtime, soulignant les moyens investis dans cette fiction, mais réveillant aussi son lointain statut de reconstitution historique (même très romancée) qui continue d'exercer une part de fascination, en dépit de la désillusion apportée par les premières saisons. Car s'il est bien un aspect que j'ai toujours profondément admiré dans The Tudors, c'est le décor que la série a pris le soin de recréer. Au-delà de la mise en valeur des riches costumes ou des jeux de lumière avec lesquelles la caméra s'amuse, la recherche d'esthéticisme dans ses images demeure une constante particulièrement appréciable. La réalisation est appliquée, offrant de belles images retravaillées qui sont autant de tableaux paraissant tout droit sortis d'un instantané théâtral ou d'une peinture de l'époque. Pour les yeux, The Tudors constitue donc un vrai plaisir, la série sacrifiant même parfois le fond à la forme, pour mettre en valeur certaines scènes. A la manière d'une histoire couchée sur un beau papier glacé, elle impose un style très propre, renforçant ce décalage soap en offrant finalement une reconstitution visuelle idéalisée de l'époque. Cela accroît encore la distance prise par le récit avec son sujet de départ, mais il faut reconnaître que ce choix esthétique, dans lequel même certaines exécutions, par leur façon d'être filmées, peuvent apparaître comme des oeuvres d'art, sait exercer et entretenir une certaine fascination sur le téléspectateur.
Bilan : Bénéficiant d'un cadre historique prétexte à une reconstitution soap-esque qui place les sentiments au coeur de la dynamique du récit, The Tudors souffre d'un certain manque d'envergure et de relief. Derrière la belle façade très chatoyante, les histoires, au final des cycles assez répétitifs, tournent quelque peu à vide. Les enjeux des intrigues s'effacent derrière la versatilité et à l'intensité émotionnelles mises en scène. L'emballage apparaît avoir été trop souvent préféré à la richesse du contenu, alors même que le sujet aurait pu se prêter à un récit des plus passionnants.
Ainsi, si je regarderai probablement l'intégrale de la série, je dois bien avouer que celle-ci m'aura toujours laissé plus de regrets que de satisfactions.
NOTE : 5/10
Le long trailer introduisant cette dernière saison :
Le générique de cette quatrième saison à venir :