S'apercevoir : apercevoir, apparaître, avoir conscience, comprendre, connaître, constater, découvrir, faire attention, noter, prendre conscience, remarquer, s’aviser, saisir, se rendre compte, se voir, surprendre, voir
Les synonymes de ce verbe pronominal ouvrent portes et fenêtres. D’ailleurs, c’est ce que fait Saveria Canniccioni dans son exposition à Chilly-Mazarin.
Il y a, dans le désordre de la liste ci-dessus, l’idée d’apercevoir, d’entrevoir, de ne pas prendre la pose et de laisser filer les images, comme lorsqu’on voyage en train ou en voiture. Les photos, imprimées sur un support banal (et non sur un papier-photo, brillant ou mat), évoquent ce passage, cette fluidité, la vitesse. Nous sommes sur l’autoroute, Saveria recueille la terre des aires de repos, comme on le fait dans un lieu mémorable, sacré. Quel repos ? quand tout semble toujours accéléré.
Quelles aires ? Celles de l’autoroute ou celles dites des gens du voyage ? Un espace de l’exposition est appelé « mobil(e) home » ; chacun est invité à y apporter un objet, quelque chose, et à faire évoluer cet espace précaire. Deux photos y montrent le camp des Roms de Massy, avant sa destruction par un incendie… et l’expulsion de plusieurs familles vers la Roumanie. La photographie nous aide-t-elle à en prendre conscience ?
Alors, Saveria se tourne vers ses voisins. Les voyons-nous vraiment, nos voisins ? Chacun chez soi, le palier n’est pas souvent lieu de sociabilité. Le choix de Saveria est de projeter, sur un support qui évoque une toile rafistolée, des portraits un peu pâles de familles devant leur porte (fermée). Question du seuil, de l’autre ; question qui renvoie à celle des Roms et des sans logis. Que connaît-on de ces proches ?
La peinture ici est presque incongrue. Mais elle nous montre un personnage de dos. J’y vois plus le travail de l’artiste, poser les couleurs, montrer les formes, jusqu’à cette étiquette au bas du dos, révéler à peine un profil, tourner la tête… Quel est ce visage qu’on ne voit pas vraiment ? Qui est cette personne ? La peindre et la donner à voir, même de dos, est une façon de lui prêter attention.
Enfin, il y a trois vidéos. Des enfants jouent, tournent, sautillent, passent et repassent devant l’objectif. Leur image devient parfois fantomatique, disparaît, revient, tandis qu’une voix égrène des prénoms. C’est comme si nous surprenions ces jeux, nous qui n’y sommes pas, tandis que tourne la ronde jusqu’au vertige.
Le temps, dans cette exposition, ne se mesure pas en heures, ne tourne pas comme les aiguilles,
mais traduit une distance. Le temps, ici, n’est pas fait de passé, présent, futur, il indique ce qui me sépare ou me rapproche des autres. Il dit la curiosité, l’amitié, l’amour ou le contraire. Et, crayon à la main, Saveria Canniccioni fait des esquisses de paysages pour tenter d’arrêter la course, l’éloignement, de noter ce qu’elle voit.