Une année de lutte personnelle, un siècle de combat plus tard, voilà enfin les plus démunis des citoyens nord-américains enfin dotés d’une assurance-maladie digne de ce nom [1], même si certaines concessions furent nécessaires pour que cette véritable révolution se réalise. Il aura fallu toute votre pugnacité, Monsieur le Président, afin que la balance finisse par incliner dans le sens d’une plus grande justice sociale, notion bien mise à mal par votre illustre prédécesseur, ce va-t-en guerre qui n’aura eu de cesse de creuser les comptes de la nation pour mener une politique belliqueuse, et illuminée, parfaitement contre-productive. Certes, il restera toujours quelques écervelés pour démentir l’historique avancée, cela parce qu’ils n’ont pas conscience des puissantes résistances qu’il aura fallu combattre sans relâche.
Dés avant cette réforme, il faut bien faire le constat que le système de santé américain, modèle libéral s’il en es
t, opérait par dérives successives, voyant ses coûts exploser – jusqu’à représenter 16% du PIB en 2006 – suivant une courbe fortement corrélée à celle de l’obésité [2]. Dés lors, on comprend bien les enjeux politiques embusqués derrière cette problématique essentielle qui, non content de grever la production nationale de richesses, reléguait plus de 16% de la population dans les bas-fond d’un quart-monde pourtant situé au cœur de la société la plus riche du globe. Mais
Barack Obama l’avait proclamé haut et fort tout au long de sa campagne électorale, et il n’aura pas renoncé à cet ambitieux et fou projet, puisque la réforme du système de l’assurance-maladie est désormais entrée en vigueur le 23 mars 2010, date de la promulgation du texte de loi encore incriminé par une large frange conservatrice de politiciens toujours prompts à hurler au loup socialiste. Ces derniers de dénoncer le coût prohibitif de 940 milliards de dollars sur 10 ans, alors que chaque année ce n’est pas moins de 2100 milliards de dollars qui sont consacrés au dépenses de santé qui, par ailleurs, ont crû à un rythme annuel de 10% tout au long de la période 1960-2005 [3]. Nul besoin d’être un mathématicien averti pour évaluer les proportions qui sont en jeu, d’autant que certains économistes misent sur un effet bénéfique de cette réforme en matière de réduction des déficits publics [3].
Mais la mauvaise foi idéologique n’entre pas dans ce genre de dialectique, et il suffit de lire les déclarations faites par les plus doctrinaires conservateurs pour évaluer la profondeur de l’archaïque gouffre qui les sépare du progrès réalisé par cette réforme. Les vieux démons auront profité de ce débat pour refaire surface en agitant les peurs d’un autre siècle où, pourtant, le vers argent se sera largement insinué dans le fruit homme. Et c’est bien ici que se cristallise en réalité l’achoppement entre une idéologie ultra-libérale parfaitement incarnée dans le système de santé nord-américain, et la tentative démocrate de réduire un temps soit peu les injustices sociales dans un pays où la crise n’aura eu pour effet premier que d’appauvrir plus avant les moins possédants. Aussi, loin d’éloigner les fauves attirés par l’appât du gain, les blouses blanches ont au contraire fait l’objet de moult spéculations financières, et autres turpitudes infâmes dans un système concurrentiel absolu devenu hors de contrôle. Si, à l’évidence, cette loi ne réduira pas à néant ces pratiques ruineuses, elle aura au moins le mérite de profiter à plus de 30 millions d’individus qui devaient jusque-là rogner sur leur santé et ronger jusqu’à la moelle l’os de leur pauvreté. N’en déplaise à celles et ceux qui hurlaient à tue-tête
« Kill the Bill » devant le Capitole, ou bien encore aux extrémistes du mouvement
« Tea Party », ce texte fait désormais loi. Et ce ne sont pas les quelques procédures judiciaires de certains procureurs velléitaires et revanchards qui empêcheront cette avancée majeure de prendre corps dans la société américaine [4]. Comme le démontre l’Histoire, une fois le progrès installé, il est bien difficile de venir le déloger. Ce fut le cas pour le
Social Security Act, le programme
Medicare ou le non moins emblématique
Civil Rights Act de 1964, soit des avancées législatives jamais remises en cause, même par leurs plus ardents assaillants. Aussi, nul doute que le Président Obama fera montre d’acharnement afin de maintenir
le cap qu’il a fixé pour les États-Unis. En outre, il faut bien espérer d’autres victoires dans un avenir proche, notamment en matière financière, et souhaiter que les prochaines élections à mi-mandat, qui se tiendront au mois de novembre, n’amputeront pas plus son pouvoir que son vouloir.
En ces temps bien instables, il faut que le monde se réjouisse encore que ce soit un tel homme qui préside au
destin de la première nation planétaire, au risque même de quelques désillusions inévitables au regard des espoirs disproportionnés suscités par son élection à jamais historique.
Dés lors, il convient de vous féliciter, Monsieur le Président Obama, pour ce pavé jeté dans la mare des injustices
, pour cette claque lancé
e au visage des plus immondes de vos pourfendeurs, pour cette fenêtre ouverte sur l’horizon de cet autre monde possible. Oui nous le pouvons, c’est le message intrinsèque que porte cette réforme; c’est aussi la démonstration que le chant des possibles peut faire entendre sa discrète mélodie par-delà les frontières visibles et invisibles, au-dessus des murs les plus hauts, et à travers la destinée toute entière de l’humanité. Pour autant, l’esprit de lutte doit perdurer et il faut continuer à s’engouffrer avec opportunisme dans toutes les failles d’un système aussi pervers qu’absurde dont l’avenir semble se perdre dans les brumes épaisses du doute.
[1] Lire le dossier complet disponible sur le site du Courrier International
[2] Laurence Hartman, Les États-Unis et la santé. Le coût du système de santé américain. Les tribunes de la santé N°19, été 2008.
[3] Op. cit
[4] Le bureau du Budget du Congrès prévoit ainsi une réduction de 138 milliards de dollars du déficit de la nation grâce à cette réforme.
[4] Lire l’article sur Le Monde.fr