Magazine Culture

L'Inachevé de soi, de Claude Ber et Pierre Dubrunquez (lecture d'Alexis Pelletier)

Par Florence Trocmé

Ber  Poésie et peinture. Point n’est besoin d’une très grande érudition pour savoir que la rencontre est nourrie d’une longue histoire, à tous les sens de ce substantif qui remonte, notamment à Horace, dont on me permettra de rappeler les vers de son Art poétique (V, 361- 365) :  
 
Un poème est comme une peinture. L’une te séduira davantage  
te tenant auprès d’elle, et l’autre, si tu t’éloignes.  
L’une aime l’obscurité, l’autre voudra la pleine lumière,  
Ne redoutant point le regard acéré du critique.  
L’une ne plait qu’une fois, quand l’autre plait encore, après dix fois. 
 
C’est le fameux « Ut pictura poesis », que je traduis sans doute approximativement et qui me paraît l’enjeu de cette rencontre entre Claude Ber et Pierre Dubrunquez.  
 
À première vue et à première lecture, si je peux dire : non, le poème (de Claude Ber) n’est pas comme la peinture (de Pierre Dubrunquez). Cette dernière crée l’évidence de la rapidité du geste, en désignant une quête de la figuration que certains poètes appelleraient peut-être présence et qui pour le peintre renvoie à l’idée d’une figuration voire d’une œuvre originelle perdues. Et, de son côté, la poésie de Claude Ber est celle d’une abondance figurative qui, de références en souvenirs fait signe vers ce que j’appellerai la raréfaction d’un verbe, unissant, au-delà de l’expérience terrestre de la mort, l’amour et l’enfance : « Le mot est un lièvre dont on attend le bond ». Pour me faire comprendre, la peinture désigne, sans ambiguïté, une sorte d’ascèse du travail, tandis que la poésie ouvre l’éventail de sensations délibérément liées à la terre. Mais ce constat ne signifie pas que la rencontre n’a pas lieu. Au contraire même, une fois que les différences sont nommées, elle se produit. Et de pouvoir même avoir le sentiment que le poème est comme la peinture et vice-versa. Les œuvres de Pierre Dubrunquez sont, dans cet ouvrage, celles d’une répétition et d’une profusion qui fait apparaître la figure humaine. Entre elles se créent comme un dialogue, un écho qui provoquent une sorte de surgissement du trait et de la matière, quelque chose qui dit, en somme, « l’illusion du nécessaire ». Or cette dernière expression, qui me semble établir un rapport de justesse avec la peinture vient du poème de Claude Ber. Et, à chaque page du poème la même impression se produit : poème et peinture se complètent, s’interpénètrent. C’est un vrai dialogue amoureux, c’est-à-dire un dialogue conscient de l’irréductibilité des différences entre les deux arts. Et de quoi « parle » ce dialogue. Une phrase comme un long vers permet peut-être de le saisir : « Il est dur de dire le simple, l’émotion ténue, la crainte que demain nous ne détruisions l’entier de la terre et pour la première fois peut-être l’angoisse de la mort de l’espèce plus grande que celle de sa propre mort. » (p.13) C’est notre époque qui est en jeu, dans la nécessité d’être toujours présents à elle, même à ce qu’elle tient de plus tragique. Peinture et poème « disent » le risque, non pas de l’improvisation dans l’époque, mais de la disponibilité. D’où cette forme du poème qui décline les possibles de la prose. Parfois celle-ci est très limpide (j’aurais voulu dire « libre » si ce n’était faire signe vers un ensemble trop vaste, le vers libre) : « Une lueur de mer – car la mer a sa lumière propre distincte de celle du ciel et de la terre – une lumière maritime passe à travers la fenêtre. Dans sa déchirure nocturne. Ou son décolleté. Et c’est une visitation. Parfois spirituelle. Parfois érotique. Ou les deux abouchées. » (p.12). Parfois cette prose devient vers, dans un énoncé qui touche à la grande morale : « Ne répète pas. / Ne récite pas. / N’implore pas. // Va droit. » Et le parcours du livre, dans ce dialogue entre peinture et poème a bien lié les deux expressions, les a confondues tout en maintenant les différences. Ainsi L’inachevé de soi est une chance : « Le meilleur s’arrête en nous et y demeure. » (p.41) 
  
par Alexis Pelletier  
 
 
Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’inachevé de soi, Editions de l’Amandier, 2009. 25€ 
 
 
 
 
L’eau morte des canaux porte le poids du jour et  
pue sous le soleil 
de ce puanteur le cœur. Lui aussi est pourrissant.  
Puanteur pour cœur pourrissant quel baiser réveillera nos cœurs au bois dormant ?  
Eau emporte la barque et mots l’image. Des deux l’unique partir. Au fil du courant pirogue sans rames.  
Simplement le vent. Ou la pensée du vent. Dans sa netteté rêche. Puis la bourrasque fraîche de la sensation.  
Le vent se lève comme un livre. 
Tu es l’aimé ou l’aimée le corps de mes mains. Et nous nous souvenons de caresses et de plénitude de la peau. Habitée. Bâtie. Fraisée sur le décisif de vivre. 
Un horizon profond soudain  
sa trouée. Une droite sur un plan d’architecte. 
Le vent peut être une lumière. Et par instant nous aussi éclairer.  
  


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines