Poésie et peinture. Point n’est besoin d’une très grande
érudition pour savoir que la rencontre est nourrie d’une longue histoire, à
tous les sens de ce substantif qui remonte, notamment à Horace, dont on me
permettra de rappeler les vers de son Art
poétique (V, 361- 365) :
Un poème est comme une peinture. L’une te
séduira davantage
te tenant auprès d’elle, et l’autre, si tu t’éloignes.
L’une aime l’obscurité, l’autre voudra la pleine lumière,
Ne redoutant point le regard acéré du critique.
L’une ne plait qu’une fois, quand l’autre plait encore, après dix fois.
C’est le fameux « Ut pictura poesis », que je traduis sans doute
approximativement et qui me paraît l’enjeu de cette rencontre entre Claude Ber
et Pierre Dubrunquez.
À première vue et à première lecture, si je peux dire : non, le poème (de
Claude Ber) n’est pas comme la peinture (de Pierre Dubrunquez). Cette dernière
crée l’évidence de la rapidité du geste, en désignant une quête de la
figuration que certains poètes appelleraient peut-être présence et qui pour le
peintre renvoie à l’idée d’une figuration voire d’une œuvre originelle perdues.
Et, de son côté, la poésie de Claude Ber est celle d’une abondance figurative
qui, de références en souvenirs fait signe vers ce que j’appellerai la raréfaction
d’un verbe, unissant, au-delà de l’expérience terrestre de la mort, l’amour et
l’enfance : « Le mot est un lièvre dont on attend le bond ».
Pour me faire comprendre, la peinture désigne, sans ambiguïté, une sorte
d’ascèse du travail, tandis que la poésie ouvre l’éventail de sensations
délibérément liées à la terre. Mais ce constat ne signifie pas que la rencontre
n’a pas lieu. Au contraire même, une fois que les différences sont nommées,
elle se produit. Et de pouvoir même avoir le sentiment que le poème est comme
la peinture et vice-versa. Les œuvres de Pierre Dubrunquez sont, dans cet
ouvrage, celles d’une répétition et d’une profusion qui fait apparaître la
figure humaine. Entre elles se créent comme un dialogue, un écho qui provoquent
une sorte de surgissement du trait et de la matière, quelque chose qui dit, en
somme, « l’illusion du nécessaire ». Or cette dernière expression,
qui me semble établir un rapport de justesse avec la peinture vient du poème de
Claude Ber. Et, à chaque page du poème la même impression se produit :
poème et peinture se complètent, s’interpénètrent. C’est un vrai dialogue
amoureux, c’est-à-dire un dialogue conscient de l’irréductibilité des
différences entre les deux arts. Et de quoi « parle » ce dialogue.
Une phrase comme un long vers permet peut-être de le saisir : « Il
est dur de dire le simple, l’émotion ténue, la crainte que demain nous ne
détruisions l’entier de la terre et pour la première fois peut-être l’angoisse
de la mort de l’espèce plus grande que celle de sa propre mort. » (p.13)
C’est notre époque qui est en jeu, dans la nécessité d’être toujours présents à
elle, même à ce qu’elle tient de plus tragique. Peinture et poème
« disent » le risque, non pas de l’improvisation dans l’époque, mais
de la disponibilité. D’où cette forme du poème qui décline les possibles de la
prose. Parfois celle-ci est très limpide (j’aurais voulu dire
« libre » si ce n’était faire signe vers un ensemble trop vaste, le
vers libre) : « Une lueur de mer – car la mer a sa lumière propre
distincte de celle du ciel et de la terre – une lumière maritime passe à
travers la fenêtre. Dans sa déchirure nocturne. Ou son décolleté. Et c’est une
visitation. Parfois spirituelle. Parfois érotique. Ou les deux
abouchées. » (p.12). Parfois cette prose devient vers, dans un énoncé qui
touche à la grande morale : « Ne répète pas. / Ne récite pas. /
N’implore pas. // Va droit. » Et le parcours du livre, dans ce dialogue
entre peinture et poème a bien lié les deux expressions, les a confondues tout
en maintenant les différences. Ainsi
L’inachevé de soi est une chance : « Le meilleur s’arrête en nous
et y demeure. » (p.41)
par Alexis Pelletier
Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’inachevé
de soi, Editions de l’Amandier, 2009. 25€
L’eau morte des canaux porte le poids du jour et
pue sous le soleil
de ce puanteur le cœur. Lui aussi est pourrissant.
Puanteur pour cœur pourrissant quel baiser réveillera nos cœurs au bois
dormant ?
Eau emporte la barque et mots l’image. Des deux l’unique partir. Au fil du
courant pirogue sans rames.
Simplement le vent. Ou la pensée du vent. Dans sa netteté rêche. Puis la
bourrasque fraîche de la sensation.
Le vent se lève comme un livre.
Tu es l’aimé ou l’aimée le corps de mes mains. Et nous nous souvenons de
caresses et de plénitude de la peau. Habitée. Bâtie. Fraisée sur le décisif de
vivre.
Un horizon profond soudain
sa trouée. Une droite sur un plan d’architecte.
Le vent peut être une lumière. Et par instant nous aussi éclairer.