Lorsque Allemagne, France, Royaume-Uni, Belgique, Espagne, Luxembourg et Turquie décidèrent en 2003 de lancer le programme A400M, ce fut pour répondre à un besoin militaire impérieux. A défaut, leurs flottes d’avions de transport vieillissantes notamment à base de l’avion européen Transall auraient vu leurs capacités singulièrement obérées à moyen terme (en l’état de son parc, l’armée de l’air française était réduite pour sa part en 2015 à ne pouvoir projeter que 600 tonnes de fret à 8000km en cinq jours) et auraient dû pallier cette insuffisance soit par l’achat d’avions américains (C-130J Hercules ou GlobemasterIII), soit par la location d’avions étrangers gros porteurs (Tupolev ukrainiens notamment). Mais en arriver là signifiait une ruine de l’Europe de la défense aux conséquences politiques majeures.
Afin de réapproprier un savoir-faire stratégique, EADS s’était alors vu confier en 2003 une commande de 20 milliards d’euros pour 180 appareils dont une première livraison en 2009, délai particulièrement court, car l’expérience a montré que la conception puis le lancement en production d’un avion militaire exigeait en général de l’ordre de 10 à 15 années. Les Etats financeurs et EADS couraient en conséquence un risque majeur, d’autant plus que cet avion n’existait que sur les tables à dessin et faisait appel à des technologies sophistiquées non encore maîtrisées, un nouveau turbopropulseur de 11000 chevaux régulé électroniquement, ou à des systèmes non encore mis au point pour la gestion des vols, le vol automatique en suivi de terrain, et la position de l’avion par rapport à un modèle numérique de terrain embarqué.
Le risque est malheureusement, mais c’était prévisible, devenu réalité. Ce nouvel avion, ce nouveau moteur, cette nouvelle avionique à un prix très bas sans programme d’évaluation des risques technologiques, et de surcroît avec une répartition de la charge de travail entre les pays au prorata de la valeur de la commande de chacun sans s’assurer que les compétences industrielles requises étaient au rendez-vous, se sont traduits par des retards et des surcoûts importants. En effet, le premier vol d’essai n’a eu lieu qu’en 2010. L’ouvrage a donc été non sans mal remis sur le métier. Après de longues et difficiles négociations entre EADS et les pays clients désirant l’un comme les autres réduire au maximum leur contribution au surcoût, négociations closes début mars 2010 sous la menace constante de la rupture et partant de l’abandon du programme, la première livraison fixée initialement en 2009 ne se produira qu’en 2013/2014, ce qui limitera considérablement les capacités de transport de nos flottes aériennes de transport pendant les 4 à 5 prochaines années. Par ailleurs le surcoût qui atteint 5,3 milliards d’euros, sera partagé à hauteur de 3,5 milliards d’euros pour les sept pays clients et 1,8 milliard d’euros pour EADS.
Quelles leçons tirer du lancement et de la gestion de ce programme phare pour l’industrie européenne de défense en général ?
En premier lieu, mais c’est une évidence, faire en sorte qu’une décision de lancement de programme d’un nouveau matériel intéressant plusieurs pays, après le constat d’un besoin militaire commun et la prise en compte raisonnable des délais afférents à la conception et à la production, soit prise suffisamment à temps pour assurer à l’horizon voulu la capacité opérationnelle attendue sans générer de surcoûts.
En deuxième lieu, bien intégrer que les programmes militaires répondent dans la majorité des cas à des besoins spécifiques généralement non couverts par des avancées technologiques civiles. Ils nécessitent des financements qui leur soient propres, mais qui ne seront pas toutefois à fonds perdu pour les programmes civils car leurs répercussions sur ces derniers sont réelles au titre des technologies duales.
En troisième lieu, renoncer à la contrainte de la règle dite du juste retour susmentionnée et confier à un seul industriel, en lui en donnant le pouvoir, le soin de coordonner dans la durée l’ensemble du programme.
Enfin, on ne le répétera jamais assez, faire preuve d’une volonté politique sans faille de relever les défis, technologiques comme financiers, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de la survie industrielle de l’Europe et de sa souveraineté .
Pierre Forterre, Vice-président du Rassemblement Civique pour l'Europe