Au reste, si les outils
de gestion d'un écroulement du système bancaire, qu'il soit américain
ou autres, étaient correctement conçus (voir une proposition concrète ici),
tout l'exposé qui suit ne prêterait qu'à rendre nerveux certains gros
investisseurs. Mais comme ce n'est pas le cas, nous en sommes réduits à
nous faire peur en observant la course inexorable du secteur bancaire
américain vers un mur de dettes non remboursables désormais semble-t-il
totalement inévitable.
Sur quelles bases ?
Barney Frank allume une mèche
Le représentant démocrate Barney Frank,
autrefois défenseur acharné des privilèges financiers de Fannie Mae et
Freddie Mac, grand promoteur des plans de sauvetage bancaire - il a été un des grands bénéficiaires de dons aux camapgnes électorales par les cadres de Wall Street, mais c'est un pur hasard, bien sûr... - a depuis jugé politiquement profitable d'ouvrir les yeux sur l'état réel des finances bancaires. Dans une lettre adressée aux CEO
des 4 plus grandes banques du pays (Citi, Wells Fargo, JP Morgan et
Bank of America), il les supplie de bien vouloir intégrer dans leurs
comptes une perte égale à la totalité des encours de créances dites de
"second rang", afin de permettre aux détenteurs de dettes de premier
rang de pouvoir se lancer dans la renégociation des termes des
emprunts immobiliers avec les emprunteurs en difficulté.
Tout
ce charabia mérite quelques éclaircissements. J'ai eu l'occasion de
préciser que les prêts les plus exotiques avaient fait l'objet d'une "titrisation par tranche",
c'est à dire que des banques avaient racheté des prêts par paquets de
plusieurs milliers (le "collatéral"), les avaient mis dans un "fonds",
lequel fond finançait le rachat de ces paquets de prêts en émettant lui
même des obligations auprès du grand public, en se gardant une marge.
En général, ces obligations se divisaient en trois tranches, une
tranche "pourrie" à fort taux d'intérêt destinée aux spéculateurs et
qui absorbait toutes les premières pertes du fonds si pertes il y
avait, une tranche de "second rang" de risque et de rémunération
intermédiaire, absorbant les pertes suivantes, et une tranche de
premier rang ne devant supporter le premier dollar de pertes qu'une
fois que les deux autres avaient "mordu la poussière", et qui devait
être aussi sûre qu'un bon du trésor (notation AAA) tout en étant mieux
rémunérée.
Tant que tous les emprunteurs payaient leurs
mensualités, tout allait bien. Seulement voilà: le marasme est tel que
non seulement la plupart des tranches pourries ont "sauté", mais les
pertes affectant les tranches de second ordre sont telles que même les
obligations de premier rang sont touchées.
Le courrier de
Barney Frank indique que nombre de détenteurs d'obligations de premier
rang seraient prêts à accepter que les banques détentrices des emprunts
collatéraux en renégocient les termes (capital restant dû réduit, ou
taux abaissés) pour permettre de desserrer l'étreinte autour de la
jugulaire des emprunteurs, et donc des banques. Ces détenteurs, ainsi,
accepteraient d'engranger une perte maintenant, pour tenter de sauver
un pourcentage correct de leur placement à long terme.
Seulement
voilà, tant que les dettes de second rang n'ont pas été purgées,
impossible de toucher à la dette de premier rang ! Car les détenteurs
de "bonds" de premier rang ne veulent pas payer pour les pertes de ceux qui ont acheté des obligations plus risquées que les leurs.
Or,
la moitié de ces obligations de second ordre sont détenues ou garanties
par les 4 géants bancaires américains. Barney Frank demande donc, dans
une petite phrase qui fait débat dans la blogosphère, que ces banques
fassent un geste et reconnaissent, je cite, que:
"Un grand nombre de ces (hypothèques de) second rang n'ont pas de véritable valeur économique et la perspective de véritable retour sur ces seconds rangs est négligeable. Parce que les règles comptables permettent aux détenteurs de ces (bons de) second rang d'enregistrer les prêts à des valeurs artificiellement élevées, beaucoup refusent de reconnaitre la perte et de provisionner des pertes sur ces emprunts, ce qui permettrait aux détenteurs de bons de premier rang volontaires de réduire le principal des dettes et de conserver les emprunteurs dans leurs maisons".
Autrement dit, le numéro un de la commission du logement de la chambre des représentants écrit que les dettes de second rang ("second lien" en anglais) détenues par les colosses aux pieds d'argile de Wall Street ne valent plus un clou et sont comptées à des valeurs fantaisistes dans les bilans. Venant d'un pilier de l'establishment démocrate, voilà qui fait très mal ! Un peu comme si un premier ministre français osait déclarer que notre hexagone était virtuellement en faillite...
Dans quelle mesure les affirmations de Barney Frank sont elles fondées ? Comme toujours aux USA, une nuée d'observateurs indépendants se sont saisis de sa déclaration pour la confronter aux chiffres.
Le problème est que même si Frank exagère sans doute lorsqu'il affirme que la valeur de ces seconds rangs est de zéro, il n'a pas tort lorsqu'il affirme que les évaluations comptables de ces actifs hautement toxiques dans le bilan des banques sont totalement irréelles.
Des comptabilités fantaisistes
Rappelons, comme mes lecteurs assidus s'en rappellent sans doute, que la règle du Mark To market (que j'ai bien à tort critiquée) obligeant les banques à inscrire les pertes sur leurs titres trimestre après trimestres a été suspendue pour un an en novembre 2008 dans la panique qui a suivi la faillite de la banque Lehman, mais qu'elle est censée revenir partiellement en vigueur à partir de janvier 2010 à travers de nouvelles normes. Mais entre temps, les banques ont pu "retarder" la prise en compte de pertes dans leurs bilans, autrement dit, valoriser leurs actifs de façon "créative".
Le très social-démocrate - On ne pourra pas m'accuser de choisir mes sources uniquement dans mon camp ! - Franklin & Eleanor Roosevelt Institute publie un article montrant que, en mai 2009, selon le rapport de la FED (PDF) sur les fameux Stress Test conduits par l'équipe Obama-Geithner, les quatres banques avaient dans leur bilan environ 477 milliards de ces "cochonneries" de second rang, soit 62% du total de toutes les obligations de second rang en circulation sur les marchés financiers.
Or, les "Stress tests" bancaires ont retenu, comme hypothèse de dépréciation, une perte de 13% (3 banques sur 4) à 19% (citi) sur leurs "créances de second rang", représentant une perte potentielle de 68 Milliards. Les stress tests avaient conclu que ces banques étaient solvables si ces pertes n'excédaient pas ce niveau.
Seul problème, ces niveaux de perte seraient irréalistes car bien trop faibles. L'auteur de l'article, M. Konczal, estime que les détenteurs de créances de second ordre ne peuvent espérer récupérer plus de 40 à 60% du nominal de ces créances en se basant sur des transactions de gré à gré sur des titres indentiques. Il ne cite hélas pas ses sources, mais l'agence Moody's vient de lui donner raison en publiant un communiqué dans lequel elle affirme que les pertes sur les créances de second rang devraient se monter entre 25 et 55% de leur valeur nominale pour les prêts "non subprime", 70-80% sur les seconds rangs de prêts subprimes et 40-50% sur les second rangs de crédits hypothécaires rechargeables à la consommation ("HELOC", pour Homeowner Equity Lines Of Credit).
Les stress tests: une mascarade ?
M. Konczal n'est donc absolument pas farfelu en retenant pour hypothèse de perte sur ces créances une fourchette de 40 à 60% du nominal, ce qui porterait les pertes à enregistrer par les grandes banques entre $190 et $285 Milliards, soit trois à cinq fois plus ce que reportaient les Stress tests.
Par conséquent, si les quatre banques venaient à céder même partiellement aux injonctions de Barney Frank, elles seraient au minimum proches d'une situation de faillite, et obligées de réaccepter une aide de l'état fédéral en monnaie de singe, aide synonyme de bonus encadrés...
Pire, cette fois pour le gouvernement, cela reviendrait à reconnaître que les stress tests conduits il y a un an et qui ont servi de justification à la politique de rachat de créances douteuses par la FED, n'étaient qu'une gigantesque farce, et que l'état général du système bancaire, et notamment des quatre grandes banques dont plusieurs ont servi de fer de lance à MM. Paulson puis Geithner pour "sauver" les Wachovia, Wamu, Bear Stearns, etc... étaient en fait proches de l'insolvabilité, voire déjà insolvables. Et le tout avec l'approbation de M. Geithner. On comprend que certains aient peur que cette vérité ne produise un nouveau choc attentiste dans l'économie.
Résumons: la titrisation par tranche, fille de l'ultra-interventionnisme de l'état fédéral sur le secteur bancaire US (voir ces deux anciens articles (1 - 2) d'Ob Lib) empêche le dégonflement négocié de la pyramide de dette des ménages américains parce que l'état américain a organisé une opération de propagande sous le vocable de "stress tests", pour masquer l'état de santé réel des banques pour justifier sa politique de sauvetages tous azimuts. A part ça, nous vivons "une crise de l'ultra libéralisme sauvage", nous dit-on... Il a bon dos, le libéralisme !
Geithner sur la selette
Cette comptabilité créative n'est pas le seul exemple de magouille couverte, volontairement ou non, par Geithner. J'ai eu l'occasion de relater comment il était soupçonné par des congressmen d'avoir sciemment participé à un sauvetage déguisé des créanciers de l'assureur en déroute AIG, en négociant secrètement un paiement des CDS émises par cet assureur à un taux de 100% de leur nominal alors qu'elles n'en valaient guère que 60%, ce qui a permis à 6 grandes banques internationales de ne pas se déclarer elles mêmes en forte perte, ou en faillite.
Mais une nouvelle "bombe" vient d'éclater, mettant directement en cause la FED de New York durant les années Bush, FED dont le patron était... Tim Geithner. Un rapport indépendant d'un auditeur d'une firme d'expertise comptable, Anton Valukas, montre que la banque Lehman a truqué sa comptabilité peu de temps avant sa faillite, et que la FED de New York avait fait preuve d'une grande légèreté voire de complicité, et ce, alors que de très nombreuses conversations ont été tenues entre le PDG de Lehman, Dick Fuld, et Geithner.
Les yeux opportunément fermés sur les pratiques comptables de la banque auraient permis à celle ci de rester bien plus longtemps sur le marché que ses finances réelles ne l'auraient permis, accroissant le mal fait à ses créanciers et investisseurs. Ce scandale, estimé à 50 milliards de $, est l'un des plus grands de l'histoire financière américaine, peut être plus grand encore que l'affaire Madoff.
Alors, incompétence ? Ou pire ? Geithner est aujourd'hui sur la sellette. Certains chroniqueurs, et pas uniquement des républicains, remettent en cause son intégrité.
Obamadoff et la cavalerie financière
Mais surtout, la révélation concommitante de cette affaire de dissimulation des difficultés de Lehman par le régulateur, puis la révélation - certes plus discrète médiatiquement parlant - de la valorisation très optimiste de certains titres dans le bilan des plus grandes banques américaines lors des stress tests, toujours avec l'aval du régulateur, montre que celui ci a, pour des raisons purement politiques, triché avec sa mission, et participé à une opération de manipulation comptable de grande ampleur visant à cacher aux marchés et au public l'état catastrophique des grands piliers du système financier américain. Encore une preuve expérimentale que la régulation publique, soumise à des agendas politiques et par nature corruptible, est un outil de prévention des mauvais comportements individuels bien moins fiable que la régulation par des mécanismes de marché privés et les "méchants spéculateurs".
Mais foin de polémiques théoriciennes, et revenons au sujet initial : on peut à juste titre s'interroger sur la solvabilité réelle du système bancaire américain.
Quand un chef d'entreprise se met à maquiller ses comptes pour masquer une faillite, il sait qu'il creuse sa tombe. Il le fait parce qu'il espère qu'un miracle (économique ou commercial) viendra le sauver s'il parvient à "durer" jusqu'à sa survenance. Ces épisodes de cavalerie en forme de quitte ou double se finissent mal 999 fois sur 1000. Sans doute Bernard Maddoff est il devenu un escroc le jour où il a préféré truquer ses comptes plutôt que de reconnaître une perte, en se disant que "la conjoncture" lui permettrait de se refaire. Geithner et Obama, et avant eux Bush et Paulson, ont-ils joué le même jeu ? Et si les quatres grandes banques ont des trous béants dans leurs bilans, quelles autres bombes à retardement se cachent dans d'autres établissements ?
Aujourd'hui, visiblement, l'état américain et les banques du pays ont choisi la même voie que Bernard Maddoff. En espérant que "la croissance revienne", qu'une "rupture technologique" recrée un environnement économique favorable, ou peut être que "Dieu et la main invisible de l'économie bénissent l'Amérique", ou que sais-je encore, ils ont choisi de permettre aux insitutions financières de prolonger la période de mensonge sur les comptes, en espérant que la conjoncture se retourne par on ne sait quel miracle, sauvant les banques aux actifs décrépits et à la dette insoutenable, et par là même les gouvernements tellement dépendants de ces mêmes banques pour financer leurs déficits...
Heures sombres à venir ?
Cette stratégie pourrait mener les USA vers un second épisode très dur de récession économique, lorsqu'il ne sera plus possible de cacher l'ampleur des pertes, des non remboursements de dettes, et que le miracle attendu ne sera pas venu. Le très populaire économiste Gerald Celente pronostique un tel crash dès 2010, mais il est considéré comme un catastrophiste congénital. Je ne sais si son timing est le bon. Mais le danger est à l'évidence réel.
Quelle en sera l'étincelle ? Les annonces de résultats trimestriels en avril ? Les résultats de la victoire judiciaire de Bloomberg contre la FED, qui obligera celle ci à révéler à quelles banques elle a fait des fleurs ? Une reprise de la guerre protectionniste contre la Chine ? Une nouvelle faillite retentissante ?
Et quelles en seront les répercussions sur l'économie réelle ? L'économie mondiale ? Y-aura-t-il un miracle pour sauver l'Amérique du désastre, et le reste du monde avec elle ? Autant de questions angloissantes que je laisse à une prochaine fois.
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