Martin Rueff et Jean-Yves Masson accueilleront le poète italien Eugenio de Signoribus le 4 décembre prochain à La Maison de la Recherche de l'Université Paris–Sorbonne, et la veille à l'Institut Culturel Italien – Martin Rueff & Claude Mouchard – (plus de détails sur Fabula), à l’occasion de la parution de La Ronde des convers aux éditions Verdier
Giorgio Agamben a souligné ainsi la singularité d'Eugenio De Signoribus : « à cette voix qui "dans le soir du siècle" a su nommer la "face oblique du monde" et dont parle – si bas qu'on ne peut le reconnaître, si fort qu'il est à peine audible – peut-être le plus grand poète civil de sa génération, la poésie italienne qui vient – celle qui, assurément, devra faire le jeûne de la lumière – sera sans cesse confrontée»
Le poète présentait son livre à venir ainsi dans le numéro 109 de la revue Po&sie (premier volet de trente ans de poésie italienne) :
Ce nouveau livre, intitulé La Ronda dei conversi, naît de l'obscurité des temps présents, du besoin de repenser chaque chose, de sauver le bien en tentant d'identifier sa possibilité. La figure de référence est ici le témoin. Cette figure a plusieurs voix: elle est chorale, elle est plurielle.
Il précisait quant à l’extrait donné : La séquence inédite, « Nel passagio del millenio » – « Passage du millénaire » – ouvrira mon nouveau livre, le cinquième, […]. Il s[‘]en distingue[…] parce qu'il est plus compact d'un point de vue émotif, et plus ramassé dans le temps – il propose des textes qui s'échelonnent sur les quatre dernières années […]
Voici l’un des poèmes (p. 55)
QUANDO
quando interrotte le dottrine
i predicatori tra latrine e letti
in pienaluna o in mezzacroce stanno
come in una sfera sema dettipuoi attraversare tutte le chiese
e spogliate di tutti i paramenti
puoi vedere nella nuda stazione
le difese dell'unica preghiera...nvece è data la separazione
come la necessaria dei viventi
sa traduction par Martin Rueff :
quand toute doctrine interrompue/entre latrines et lits les prédicateurs/se tiennent à la pleine lune ou à mi–croix/comme dans une sphère sans dits//tu peux traverser toutes les églises/dépouillées même de tous leurs parements /tu peux voir dans la station nue/les défenses de l'unique prière...//mais la séparation est donnée/aux vivants comme nécessaire
et le commentaire de l'auteur de Comme si quelque(Martin Rueff outre la postface donne des commentaires éclairants pour chacun des poèmes) :
Le dénuement est évoqué comme la véritable conversion. Le silence des prédicateurs fait place nette à la « station nue » dans une église dépouillée. Ce poème est décisif pour prendre la mesure qui sépare la « conversion » du poète de la simple conversion religieuse. L'une n'est pas le contraire de l'autre, elle ne lui est pas étrangère non plus, mais elle s'en distingue. La « prière unique » doit être défendue par la radicalité de la vie nue.
La séparation apparaît comme une fatalité imposée aux humains. Le poète y reviendra dans la dernière section.
Au questionnaire adressé aux poètes figurant dans l’anthologie 1975–2004, Eugenio De Signoribus apporte quelques unes des réponses suivantes :
Je crois que la poésie, n'est pas seulement mémoire et mélancolie, mais aussi pressentiment..., une vaste mer, émotive et perceptive, devant laquelle qui naît témoin se retrouve nu... le langage poétique est le tissu qui se forme et se développe tout autour; il est son vêtement.
La poésie a pour moi encore un sens, parce que l'impegno civile lui est inhérent, fût-ce seulement l'engagement à défendre sa propre langue, à en conserver la vitalité, à l'alimenter avec des mots nouveaux contre l'invasion de l'homogénéisation...
La lecture de la poésie française a été pour moi une forme d'éducation, dans l'ordre de la pensée propre à la poésie (pensiero poetante) comme dans celui de l'interrogation pure... elle m'a retiré toute défiance envers la prose comme partie intégrante du livre de poésie...
On ne s'étonnera guère de l'amicale et attentive préface d'Yves Bonnefoy, qui souligne son "émouvante présence d'homme peu désireux d'apparaître à la place de ses écrits et pourtant tout aussi remarquable, et bénéfique, s'[il] ose dire.
©Ronald Klapka