Il est rare de voir des nouvelles en BD. L’exercice est difficile. Plus encore lorsque sont décrits des non-événements, des petits moments de vie à première vue sans intérêt. Il faut alors que l’auteur déploie des trésors de sensibilité pour embarquer un lecteur à priori peu enclin à goûter ce genre narratif si particulier.
Christophe Chabouté dénonce à travers ces Fables amères la déshumanisation de notre société. Facile, me direz-vous. Certes. Il parvient toutefois à le faire avec beaucoup de distance, sans être moralisateur.
Il y a un petit peu de Raymond Carver dans ces courtes nouvelles dessinées. La même volonté de montrer les petits riens des petites gens. C’est comme si on avait placé une caméra pour immortaliser quelques moments d’une insondable tristesse. Des instantanés sans commentaires, filmés dans une réalité brute dont l’apparente banalité réussit à vous prendre aux tripes. A cet égard, la dernière nouvelle du recueil est exemplaire et bouleversante.
Du coté du dessin, le trait en noir en blanc de Chabouté se reconnaît entre mille. Beaucoup d’épaisseur, un découpage quasi cinématographique. Très peu de texte. L’image se suffit souvent à elle-même. L’encrage nerveux rappelle le travail de Lax sur sa série Le Choucas.
Avec ces Fables amères, on retrouve le dessinateur très ancré dans la réalité sociale qui s’était fait remarqué avec « Quelques jours d’été » ou « Un îlot de bonheur ». Christophe Chabouté est grand. Il fait partie de ces rares auteurs capables de nous bouleverser avec trois fois rien. Grâce lui soit rendue pour être parvenu une nouvelle fois à réaliser ce petit miracle.
Fables amères : de tout petits riens, de Christophe Chabouté, édition Vents d’ouest, 2010. 12,00 euros.
L’info en plus : Pour ceux qui souhaitent découvrir d’autres titres de l’auteur, je ne peux que conseiller le magnifique « Construire un feu », une adaptation très fidèle de la nouvelle de Jack London. Les sceptiques ne pourront qu’être définitivement convaincus du talent de Chabouté en refermant cet album paru il y a presque trois ans.