Les tueurs de temps.
Qu’a-t-il fait de plus que l’ours en cage, celui qui a passé sa journée dans la cage d’un bureau, à déplacer à gauche les papiers qu’il avait mis la veille à droite, à obéir à un patron qu’il déteste, à consulter sa montre pour aller prendre son repas, à lire le journal, à commenter la fin de semaine, à sucer son crayon, à retenir un visiteur, à compter les jours qui le séparent des vacances? Rien de plus que l’ours. Tous les deux n’ont qu’une préoccupation : tuer le temps. On vit dans une société où les gens libres (qui font ce que leur plaît) sont devenus des curiosités. Pourquoi? Parce que la mode est de se caser au plus tôt, par peur du risque et de l’aventure, se mettre à l’abri dans une petite prison jusqu’à la fin de ses jours. La civilisation commence par des pionniers et finit par des prisonniers. C’est pourquoi le rêve, le hobby, l’alcool, l’espérance ont tant de fidèles en 1961.
Félix Leclerc, Le calepin d’un flâneur
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