Le père rentre des champs ; en treillis militaire (qui combat-il ?), massue à grain dans un reposoir accroché à la taille, il assoit sa fière moustache dans un coin de la pièce, pas trop loin quand même de la table basse en demi-lune; celle-ci enserre le réchaud électrique, métamorphosé, tel le phénix de ces lieux, en chauffe-plats. Une télé très cathodique égrène les nouvelles d’un monde lointain. La gazelle en noir pianote sur son rose téléphone, de ses doigts froids. Demi-sourire délicat, parfois, haut front.
Le meilleur moyen d’apprendre de ses erreurs, c’est quand même d’en faire. J’accepte donc un bol de riz à la première offre qu’on me fait. Erreur! De mémoire, j’avais toujours dit non sans y penser, par habitude de politesse. Ici j’ai l’impression d’avoir embrassé Hu Jintao sur la bouche. Un égarement fond sur la mère, qui reste désorientée pendant plusieurs secondes, l'oeil effaré ; puis elle reprend ses sens, rouvre l’autocuiseur qu’elle avait machinalement refermé, et me sert un bol rustique.
Elle se venge le repas fini, et quand j’exprime ma satiété d’un sonore 吃饱了! (“Tcheu-bao-leu”, je suis repu !), elle de me proposer un deuxième bol de riz avec l’insinuation la moins délicate qu’un repas si peu apprécié de ma part n’aura certainement pas pu combler mon appétit. Comme c’est petit ! Faut-il qu’elle ait peu aimé ce repas pour répliquer à mes faux pas avec une telle amertume !
Il n’y a pas de salle de bain. Pas grave, je sens bon la crasse. Chameau n°5.
Mais, de grave manière, la patronne s’enquiert de mon désir de me laver visage, bras et jambes avant de m’aller pieuter. Manifestement, la case cochée par défaut est « oui bien sûr ». Comme elle me déroule les prospects délicieux de plonger mon visage dans l’onde pure d’une bassine de propreté incontestable, je prétexte la possession d’une lotion nettoyante miracle pour leur souhaiter une bonne soirée et m’éclipser prestement.
Ma chambre est aussi chaude qu’Hilary Clinton. Grelottant, je déplie en hâte mon sac de couchage sur le drap douteux et me fais briller les dents en un éclair. Un coup de jet d’eau d’un tuyau sert de chasse d’eau. Je règle mon réveil sur 8h30 et je me glisse dans mon cocon.
Je pense au lendemain. Je ne sais comment (syndrome de Stockholm ? prendre le pouls du bout du monde ?), je compte rester une demi-journée de plus et prendre la navette de l’après-midi. Un marché, m’a dit la patronne, doit se tenir en début d’après-midi, et l’idée de voir ce bourg pauvre mais très vivant animé de l’agitation d’une foire m’enthousiasme. Je me retourne longuement, cherchant la chaleur, avant de m’assoupir.
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