Garcia-Marquez vu par Tamer Youssef
Sierva Maria est une enfant non désirée. Le fruit d’un viol d’un homme par une femme. Ne soyez pas surpris : ça arrive parfois. Une sorte de cheval de Troie pour qu’une jeune métisse puisse entrer par la force dans l’antre d’un aristocrate colombien, le marquis de Casalduero. Héritier d’un grand esclavagiste, propriétaire terrien, le marquis semble incarner cette aristocratie créole décrépie et illégitime pour les espagnols. Rejetée depuis sa tendre enfance par ces deux parents, c’est dans le patio des esclaves que Servia Maria passe le plus clair de son temps avec les noirs.
Ces derniers vont initier la fille du marquis à leurs croyances et à leurs langues.Tout bascule lorsque Servia Maria se fait mordre par un chien enragé dans le marché de la ville...
Les symptômes de la rage ne se manifestèrent que très tardivement. Le diagnostic est délicat à obtenir. La mort certaine. Le marquis qui entre temps a entrepris de reconsidérer ses relations avec sa fille adolescente, si étrangère veut rattraper le temps perdu. Il veut la reconquérir. Mais les accès de démence de dernière le désarçonnent. Enragée ? Malade ? Possédée ? L’évêché propose un exorcisme au marquis par l’intermédiaire du jeune prêtre Cayetano Delaura qui s’éprend de l’adolescente à la longue chevelure.
Amour interdit. Amour démoniaque. Amour et autres démons.
Je ne sais pas comment je me suis autorisé une si grande rupture dans ma lecture de l’œuvre romanesque de Gabriel Garcia-Marquez. 2 ans. Ce colombien possède le génie de la narration. Cette capacité à vous faire revivre cette Colombie des premiers temps de la colonisation espagnole, la tension liée à la cohabitation entre esclaves et maîtres, l’église catholique avec ses codes, ses rituels, sa toute-puissance.
Dans ce texte, je crois saisir pourquoi je me sens si à l’aise avec Garcia-Marquez. L’influence culturelle négro-africaine ressentie dans Cent ans de solitude me semble encore plus manifeste dans cet ouvrage.
Il y a également des questions théologiques intéressantes. Au regard de la pratique très rude de l’exorcisme catholique, Cayetano se souvient que si l’espérance, la foi et l’amour sont importants, l’amour prime sur la foi. Il choisit l’amour. Ou se laisse déborder par ce sentiment. L’amour qui cherche à comprendre la nature du mal. L’amour qui ne cède pas aux raccourcis des bienpensants de l’époque. L’amour qui cherche à apprivoiser l’âme enchaînée de Servia Maria, menteuse invétérée, seul moyen pour une perle sevrée d’amour trop tôt de se défendre dans un monde qui lui a toujours été hostile... Cayetano est un borderline qui sous la plume de Garcia-Marquez va faire le pas de trop. Tout cela n’est que fiction. Une fiction née de la découverte des restes du corps d’une adolescente dont la chevelure mesurait 22 mètres dans un couvent en ruine et une de ces vieilles et terrifiantes histoires dont la fameuse grand-mère de Garcia-Marquez lui fit état dans sa jeunesse...
Un très beau texte sur l’amour.
Gabriel Garcia-Marquez, De l'amour et autres démons
Editions Grasset, 187 pages, 1ère parution en 1994
Titre original - Del amor y otros demonios, traduit de l'espagnol par Annie Morvan
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Majanissa,
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