Haiti-Séisme/Reconstruction : Le 12 janvier et nous
Transformer un cauchemar en une utopie /réalité
Par Ericq Pierre
Je peux enfin remercier les uns et les autres pour les gestes de solidarité qu’ils ont eus envers moi et envers mon pays. Aux amis haïtiens et étrangers, je peux enfin, à mon tour, présenter mes sympathies pour les pertes de leurs êtres chers et de leurs compatriotes qui vivaient chez nous. Les victimes du 12 janvier appartiennent à près de cinquante nationalités .
Je ne crois pas qu’il y ait eu dans l’histoire récente de l’humanité un exemple aussi fort de solidarité à tous les niveaux . Tout le monde ou presque s’est senti haïtien après le 12 janvier. De partout nous venait une certaine forme de compassion agissante. Même si les grandes douleurs sont très personnelles, très intimes même, il faisait bon de sentir qu’on n’était pas seuls.
Mon expérience sur place, juste après la tragédie, me permet de rendre hommage à l’intensité de la solidarité inter-haïtienne dont j’ai d’ailleurs grandement bénéficié dans la recherche et la récupération des dépouilles de cinq membres de ma famille. Des jeunes qui n’étaient même pas du quartier et dont je ne connaissais pas les noms m’ont spontanément offert leur aide. L’un d’eux m’a confié qu’il avait tout perdu et qu’il n’avait jamais cherché de cadavres avant. Moi non plus, j’ai pensé. C’est lui qui m’a appris qu’en versant sur les corps en décomposition du kérosène mélangé avec du chlorox , l’on diminue considérablement les odeurs.
Un architecte rencontré la veille pour la première fois est resté avec moi une journée entière, donnant des consignes sur le meilleur endroit pour entamer les recherches. Grâce à lui, dès le premier jour, deux cadavres ont été retirés des décombres. La solidarité locale m’ a permis de les inhumer de façon plus ou moins décente dans un cimetière en dehors de Port-au-Prince , après la tombée de la nuit , malgré l’ indignation farouche des riverains qui insistaient qu’ on n’ enterre pas les morts le soir . Je me suis confondu en excuses. Je ne savais pas. Parmi les choses que j’ai apprises –ou réapprises- pendant cette période de détresse, l’ énorme capacité de souffrance des Haïtiennes et des Haïtiens occupe une place que je ne pourrai jamais oublier.
Les medias étrangers qui couvraient Haïti 24/24 n’étaient sans doute pas en situation de signaler cette solidarité locale, parce qu’elle n’était pas aussi visible que la solidarité internationale. Et pourtant c’est cette solidarité aux mains nues qui a sauvé le plus de vies et qui a retiré le plus grand nombre de victimes des décombres. C’est elle qui a donné les premiers soins, offert les premières bouteilles d’eau et les premières couvertures. C’est elle aussi qui a consolé et géré le désespoir et la panique des premiers moments. A côté de la solidarité internationale toujours spectaculaire, cette solidarité locale est présente aujourd’hui encore sous les tentes et dans les camps de ceux qui seront sans doute des réfugiés de longue durée. On dirait qu’elle a compris que pour être efficace, il est préférable de ne pas trop se faire remarquer.
J’ai fait le choix de respecter sa discrétion et d’essayer plutôt de comprendre ce qui se passe sur le front des opérations post-désastre et plus spécialement sur le dossier de la Reconstruction. Je n’utilise peut-être pas le bon vocable. On parle de Réingénierie, de Reconfiguration, de Relèvement... L’ex-Premier Ministre de la Jamaïque, PJ Patterson, a parlé de Renaissance. Le président Préval lui préfère parler de Refondation. Dans tous les cas, quelque soit le vocable retenu, le concept qu’il sous-tend devra s’appliquer à tout le pays. Car, la reconstruction/refondation du pays ne connaîtra pas de succès si elle n’est accompagnée d’un vaste programme de réhabilitation des villes de provinces et du milieu rural. Il faudrait aussi construire des villes nouvelles .
A vrai dire, à quelques nuances près, c’est ce que tout le monde affirme. Du Président de la République au Premier Ministre. De Ban-Ki Moon à Bill Clinton en passant par tous les grands décideurs de la Communauté internationale. C’est ce qui est écrit dans pratiquement tous les documents que j’ai vus (et Dieu seul sait s’il y en a). Il y a le PDNA qui a mobilisé près de 300 spécialistes haïtiens et étrangers. Il y a les propositions des diasporas haïtiennes du Canada, des Etats Unis, de l’Europe et aussi des diasporas haïtiennes de l’intérieur. Il y a les propositions du secteur privé et de la société civile. Les partis politiques ne se sont pas manifestés par écrit, mais je serais surpris qu’ils ne se retrouvent , même partiellement, dans aucune des propositions faites ou bien dans une combinaison/ synthèse de toutes. Car, quand je prends en considération la vitesse avec laquelle ces dossiers ont été préparés et la diversité des positions exprimées, je dois admettre que les propositions de synthèse finales ne sont pas mauvaises. Il y en a même qui sont très bonnes. Je le dis avec d’autant plus de force que je n’ai pas participé à leur élaboration .
Après analyse de la Feuille de route remise par le secteur privé, du Document de vision du gouvernement et du Plan d’ Action pour le Relèvement et le Développement National , pou r ne citer que ceux-là, l’on se rend compte qu’ un grand effort de concertation et de coordination a été fait et que ces différents documents ont en commun des orientations stratégiques susceptibles d’ amener à une Reconstruction équitable. Certes, il y a toujours lieu d’apporter des améliorations .Mais, ces documents ont remarquablement réussi à se focaliser sur l’ essentiel et à éviter les pièges des combats de second ordre. Reste, bien sûr à divulguer ces orientations stratégiques au niveau du grand public et à travailler à leur appropriation par une forte majorité d’ Haïtiens. Ainsi le gouvernement, le secteur privé, la société civile, les diasporas, le grand public, les communautés internationales réussiraient le pari d’une unité de vues presque totale.
Une telle unité, si elle était acquise sans une grande majorité d’ Haïtiens, pourrait paraitre suspecte. Inquiétante même. Tout comme me paraissait suspect ce besoin de rappeler à tout instant que ce sont les Haïtiens qui doivent être en charge. Car, bien souvent , quand tout le monde semble être d’accord , cela peut bien signifier que personne n’est d’accord. Les Anglo-Saxons ont une expression pour cela : paying lip-service to a cause signifie servir la dite cause en paroles seulement. Ce ne semble pas être le cas cette fois-ci, car toutes les parties prenantes semblent admettre que Haïti ne survivra pas si la réhabilitation des provinces, la décentralisation et la déconcentration ne restent que des vues de l’esprit , des vœux pieux, comme on dit. Et cela est de bon augure. Il s’agit maintenant de transformer les discours et les documents en actions concrètes.
Je me permettrais toutefois de suggérer de renforcer les aspects environnementaux de la Vision pour y introduire un « rêve », celui de voir Haïti, sur un horizon de 15/20 ans, accomplir des progrès tels dans le reboisement et la protection de l’environnement qu’elle devienne un modèle de dépassement de la pauvreté. Pour cela, il faudra résolument faire le choix que la nouvelle économie haïtienne soit construite sur les principes et les concepts d’une économie verte : développement durable, énergies renouvelables, efficience énergétique, adaptation au changement climatique , protection et renouvellement de l’ environnement.
Une focalisation sur le développement des sources d’énergie renouvelable –solaire, éolienne, biocarburants- pourrait aussi servir de catalyseur pour de nouveaux investissements… Si nos communautés nouvelles et nos centres urbains adoptent des stratégies ayant moins d’impact négatif sur l’environnement, plus efficientes en énergie et moins coûteuses, notre pays deviendra un endroit plus attrayant pour vivre, pour visiter et pour investir. Les différents documents produits ont souvent fait référence avec raison aux progrès réalisés par la République dominicaine en matière de développement économique. Je crois qu’ en ce qui concerne l’ environnement, il nous faudrait aussi regarder du côté de Costa-Rica pour nous positionner sur le marché de crédit carbone.
En matière d’énergie et d’environnement, il faudra donc offrir une Vision de développement durable qui enthousiasmerait et les Haïtiens et les communautés internationales. Dans cette Vision, l’ aide serait accordée à Haïti non parce que nous sommes pauvres , mais parce que nous comptons parmi les nations et les peuples qui ont de l’ avenir. Dans ce sens, la Reconstruction doit préparer notre pays à être un leader dans la nouvelle économie globale. Non seulement cela créerait de bonnes opportunités d’affaires au plan économique, mais encore cela pourrait créer l’ enthousiasme et même l’ excitation dont j’ai parlé plus haut. Notre pays cesserait d être un problème pour devenir un exemple.
Ne serait-ce pas extraordinaire que le pays qu’on a pris l’habitude de désigner comme le plus pauvre de l’hémisphère occidental devienne l’une des nations les plus vertes au monde . En outre, que notre moitié d’île extrêmement vulnérable aux changements climatiques essaie de sortir de la pauvreté avec un modèle de développement différent , ceci pourrait attirer l’attention mondiale sur nos efforts et notre stratégie de croissance .
Après le cauchemar du 12 janvier, je propose de transformer en réalité vivante ce rêve ou plutôt cette utopie et l’offrir au peuple haïtien. Contact : [email protected]