Tête de Turc : polar ottoman recommandable

Par Cineblogywood @Cineblogywood

En salles : Il ne faut pas désespérer du cinéma français. Il nous réserve toujours des bonnes surprises, quand on avait tendance à ne plus y croire. Illustration avec Tête de Turc, un premier film très réussi de Pascal Elbé. 
L'histoire : une intervention policière musclée dans une cité. Provocations de jeunes. Cavalcades. C'est à ce moment que Simon (Pascal Elbé), un médecin urgentiste, sort du HLM, où il est venu soigner des malades, et se met au volant de sa voiture à gyrophare. Vue du toit, où squatte une bande d'ados, elle ressemble à une bagnole de flic. Les gamins balancent une pluie de pierres et d'objets sur le véhicule, laissant le toubib inanimé. C'est alors que Bora (Samir Makhlouf) jette un cocktail molotov, faisant flamber la caisse. Pris de remords, il sauve le médecin in extremis avant de prendre la fuite. Simon est hospitalisé entre la vie et la mort. Son frère, un flic prénommé Atom (Roschdy Zem), est prêt à tout pour retrouver le coupable. 
Tragédie grecque à la turque
J'en ai déjà trop dit. Vous avez le point de départ d'un polar bien noir, intelligent et humaniste. Noir car cette agression va chambouler la vie de beaucoup de monde et l'on sent dès le début du film que certains personnages vont très mal finir car c'est leur destin, comme dans une tragédie grecque. Intelligent car Elbé parvient à rendre compte de la situation des banlieues sans tomber dans la facilité de la démonstration ni la démagogie. Et surtout, sans juger. Pas de gentils jeunes et de méchants flics, ni le contraire. Mais des êtres humains qui luttent pour survivre dans ce qu'il convient d'appeler le ghetto. 
Humaniste, enfin, car Elbé, qui a également signé le scénar et les dialogues, a brossé une galerie de personnages tout simplement vrais. Avec leurs blessures, leurs rêves, leurs frustrations... Des personnages touchants avec lesquels on souffre et on espère. Tête de Turc est aussi un beau film sur la famille et la complexité des rapports humains, la difficulté à communiquer, à s'aimer.

Tête de Turc est un film chorale servi par des comédiens remarquables : Zem et Elbé sont exceptionnels (une fois de plus) ; le jeune Makhlouf, d'un naturel désarmant ; Ronit Elkabetz (la mère de Bora) interprète avec justesse une femme combative ; Simon Abkarian est bouleversant dans le rôle de la victime collatérale. L'apparition de Monique Chaumette, la veuve de Philippe Noiret, m'a comblé de joie. Comme celle d'un des comédiens du cultissime Voisin-Voisine - les 30 ans et plus apprécieront...
A l'instar des performances des acteurs, la mise en scène est efficace, sans esbrouffe. Avec un beau travail sur l'image et le son. Pas de démonstration dans le scénario, ni dans le montage : Elbé n'insiste pas, il souligne, aime surprendre et prendre le spectateur à contrepied pour mieux l'inciter à réfléchir. Et dans toute cette noirceur, il parvient à faire cultiver l'espoir et à faire éclore le bonheur. Vraiment, Tête de Turc est une belle surprise.
Anderton