Un homme perd sa tendre et très aimée mère, tout se passe en douceur, la douleur coule sur lui qui garde les yeux grands ouverts, ne pleure pas, que ne s'embrouille les contours de la réalité.
Il nous permet de l'accompagner durant les quatre saisons que durera sa transformation, nous faisant passer par l'intimité de ses pensées lumineuses. Réfléchit sur lui la lumière, les arbres, le chien, la montagne, les cieux, les oiseaux.
C'est un récit apaisant. Je me suis sentie privilégiée que l'on accepte de partager avec moi ces réflexions empreintes de philosophie, ces principes longuement mûris, ces valeurs sans cesse interrogées. La mort appelle à parler de la vie. Cet homme se voit se transformer sous ses yeux, il observe les battements de la vie qui l'entoure. De l'extérieur, certains pourraient dire : il souffre puisque reclus dans une maison aux pieds d'une montagne, il est malheureux de méditer au lieu de se distraire, il est grave parce qu'il n'éclate pas de rire, il est dépressif puisqu'il ne dort pas. Mais convié à entrer à l'intérieur, le souffle amené si près de lui, le regard prend un autre sens, un sens, plusieurs sens, jusqu'à commencer à croire que la lucidité serait une voie possible pour conduire au bonheur.
J'aime fréquenter les personnes qui tendent tendrement vers la lucidité et cela a été beau d'assister, en témoin privilégié, à cette transformation intime. Je ne suis pas prête de l'oublier et, pour moi, ce n'est pas seulement un récit à lire, mais à vivre, et à relire.
Je vous laisse avec Jean-François Beauchemin avec l'espoir que vous apprécierez sa compagnie autant que moi.
Je m'étonne encore de ces pas que j'ai faits si longtemps au milieu d'une foule impatiente, marchande, à la fois trop frivole et trop raisonnable, et de laquelle je me suis senti non pas exclu mais assez distinct pour en être toujours l'involontaire spectateur. (p. 55)
Je ne comprenais pas, à huit ans, et ne comprends pas plus aujourd'hui, qu'on s'habitue si tôt et si naturellement au mystère considérable de l'existence. (p.61)
Peut-être, aussi, aurais-je dû davantage expliquer mes silences et ce pas en arrière que j'effectuais sans cesse afin d'élargir ma perspective. Je ne l'ai pas fait. (p.67)
Je réfléchissais qu'à peine une porte sépare le mensonge de la vérité, et que la découverte de cette vérité importe moins que notre quête, que nos coups répétés sur la dure surface de nos chimères, ou de nos convictions. (p.80)
L'instinct, cette intelligence du corps qui juge et comprends les choses plus rapidement que ne le fait la pensée, demeurait un allié sûr. Néanmoins, j'éprouvais encore une certaine difficulté à bien diriger mon esprit. Et c'est alors que je commençais à comprendre que tout écrivain, et peut-être tout homme, doit moins laisser libre cours à son imagination que la domestiquer, en réduire les effets aux limites d'un enclos que la volonté seule mesure. (p. 92)
Si ne pas reculer devant ce gouffre de l'âme d'où montent d'inquiétant échos, si être sans relâche et presque malgré soi séduit par l'impénétrable beauté du monde est ce qu'on appelait la gravité, alors soit, j'étais grave. Je continue pourtant de croire que ceux qui le prétendaient confondaient gravité et vigilance. (p.95)
Je finissais par trouver beaux ces patients ajustements ayant formé avec les années la sculpture mouvante de la personnalité, ces coups secs et de plus en plus précis donnés sur la chair et sur l'âme par le ciseau des circonstances. (p.93)
J'aurai consacré l'essentiel de mes efforts à la poursuite, au moins dans mon travail avec les mots, d'une forme de synchronie entre les choses élevées et celles, plus près, que nous montrent nos existences terrestres. Et il m'a semblé que, pour exercer ce métier de médiateur, il fallait d'abord attirer vers soi le bonheur [...]. (p. 107)