J’ai souvent parlé, au cours de mes billets, de protocole. C’est quoi, me demanderez vous, un protocole? Le truc qui explique comment manger les ferrero rocher chez l’ambassadeur? Presque. C’est ce que tout bon scientifique est sensé mettre au point scrupuleusement, penser, rédiger avec soin, et ne pas respecter du tout au moment de l’appliquer, en quelque sorte.
Un peu de praxis, pour commencer. La science, ça n’est pas que des caféinomanes échevelés avec des chemises à carreaux. Bon, soyons honnêtes, c’est un peu ça; j’en suis presque, sauf peut-être la chemise à carreaux. C’est aussi une approche qui repose sur un cycle assez simple que j’ai tenté de reproduire ici, en ajoutant justement les protocoles. On commence par se poser une question (en relation avec des précédents résultats), on définit sur quoi on va travailler pour la résoudre (ça c’est l’échantillon, le modèle, etc), et comment on va, dans la pratique, s’y prendre. C’est le protocole. En réalité, protocole et échantillon sont complètement imbriqués.
Et après avoir appliqué ce protocole, on obtient des résultats, qui nous serviront à nous poser de nouvelles questions, enfin si notre demande de financement est acceptée et… je m’égare. Donc, le protocole, c’est un guide par étape, un peu dans le même genre que pour programmer une machine à laver.
Dans la pratique, ça donne quelque chose comme:
- Couler un gel d’agarose contenant des bactéries Micrococcus luteus sur une plaque de verre
- Laisser polymériser
- Percer des trous d’une contenance de 5µl à intervalle régulier
- And so on
Et paf, à la fin, on a mesuré la concentration en lysozyme du mucus d’un poisson.
Mais comme vous l’aurez compris, un protocole, ça ne tombe pas du ciel. La plupart du temps, on va emprunter celui des collègues en lisant la partie Matériels & méthodes des papiers sur le sujet. Il y a même des revues spécialisées dans les protocoles, comme Nature methods, ou des colloques qui y sont consacrés, auquel cas on se coltine les actes. Sauf que les autres équipes travaillent sur leur modèle, et que comble de malchance, ce n’est pas le notre. Il y a aussi des livres de référence pour chaque domaine, qui sont des compilations. Et encore une fois, ce n’est jamais le même modèle.
Alors quoi? On doit normaliser le protocole. D’ailleurs, j’en profite pour glisser un mot à mes camarades étudiants : ne faites jamais partie du premier groupe pour un TP. Ja-mais. Et ça se fait comment, cette adaptation du protocole à notre modèle?
Tout simplement en essayant diverses combinaisons. Avec les quelques lignes données plus haut, ce n’est pas flagrant, mais si on prend quelque chose comme
- Laisser incuber overnight à 37,2°C en présence de X% de CO2 sous agitation avec N mL de solution A à 3M
On voit que les possibilités d’ajustement sont nombreuses. Mais nous sommes des gens persévérants, et on veut arriver à la case résultats de notre schéma précédent (la science est un genre de monopoly, sauf qu’il est plutôt rare de toucher les 20000€). Alors on fait des essais, et on compare les résultats de chaque combinaison de paramètres. Et on arrive au protocole idéal pour notre modèle. Par exemple, sur l’exemple qui est donné, c’est la combinaison qui correspond à la courbe Bordeaux qui a été retenue, et avec laquelle les échantillons ont été analysés.
Et après? Déjà, on passe par la case résultats, et c’est bien. En plus, on fait une jolie partie Matériels et méthodes ou on décrit notre superbe protocole. Comme ça, les gens pourront s’en inspirer pour leur modèle à eux. Ou alors, ils pourront regarder le protocole et les données qu’il a généré, et se faire leur opinion. Ils pourront juger s’ils estiment qu’on a introduit un biais avec cette méthode. Et si ils trouvent notre idée vraiment géniale, ils auront de quoi le refaire chez eux (la réplicabilité) et c’est important.
J’ai quand même distingué protocole et échantillonnage, et ça mérite un paragraphe. L’échantillonnage, c’est la collecte de “matériel biologique” (pour les biologistes au moins) sur lequel on appliquera le protocole. Et ça suit une stratégie, pour éviter “l’effort d’échantillonnage”. Je l’ai distingué du protocole, parce que pour moi (et ma formation de bon biologiste de base élevé au néon en labo de bio cell), protocole = paillasse. Alors qu’échantillonnage, ça sonne plutôt “travail de terrain”. Et ça c’est cool.